Villeurbanne, capitale des camions électriques

Au cours du 20e siècle, une entreprise implantée à Villeurbanne, Sovel, s'imposa comme le plus important fabricant de camions électriques en France.
Villeurbanne, capitale des camions électriques

Décembre 1927. Un camion-benne de 3,5 tonnes s’avance dans les rues de Villeurbanne. Contrairement à un Renault ou à un Berliet, aux moteurs à essence pétaradants et dégageant un nuage de gaz d’échappement, celui-ci roule presque silencieusement, s’arrête et repart sans un bruit. Sa cabine se distingue, elle aussi, par son capot vertical, sans museau pour abriter le moteur.

Deux hommes en descendent, puis vident dans la benne les poubelles des habitants. "Ville de Villeurbanne. Service nettoiement. Voirie n° 1". Notre ville affiche fièrement la couleur sur la carrosserie du véhicule. Elle est la première en France à s’être équipée d’un camion fabriqué par la Société des Véhicules Électriques, la "S.O.V.E.L.". Après avoir mûrement étudié la question, les agents de la mairie ont vite conclu qu’un camion électrique accomplit en une matinée l’équivalent du travail de trois charrettes tirées par des chevaux et de six éboueurs, et s’avère bien plus fiable et plus économique à l’entretien qu’un camion à essence. Le choix est donc fait. Moins de dix ans après la fin de la Première Guerre mondiale, Villeurbanne se voue à l’électrique.
La firme sur laquelle se porte son choix, créée par la banque Schlumberger en 1925, a implanté ses ateliers à Saint-Etienne. Pendant toute la période de l’entre-deux-guerres, sa production reste d’abord bien modeste. L’usine Sovel ne fabrique qu’une trentaine à une quarantaine d’exemplaires par an, destinés à évacuer les ordures, à arroser les rues, à transporter des matériaux de construction, du charbon ou diverses marchandises, et intéresse surtout les municipalités et, loin derrière, quelques industriels et commerçants en gros.

Il faut dire que les camions électriques ont quelques inconvénients par rapport aux camions à essence. Nettement plus chers à l’achat, ils ne dépassent pas 20 à 40 km/h et, surtout, ont un rayon d’action limité à une soixantaine de kilomètres, malgré leurs une à trois tonnes de batteries !

Arrive la Seconde Guerre mondiale, qui change radicalement la donne. Du fait du rationnement drastique de l’essence, voitures et camions se trouvent du jour au lendemain à sec. Fleurissent alors des équipements au gazogène, fonctionnant principalement au bois ou au charbon, peu pratiques et peu performants. Du coup, les camions électriques reviennent au goût du jour et les commandes pleuvent sur Sovel, au point que l’usine de Saint-Étienne ne suffit plus à la demande. Un nouvel établissement doit impérativement être construit, pour augmenter les capacités de production. Le choix du lieu se porte sur Villeurbanne, au 154 de la rue Léon-Blum. Là, à l’emplacement de l’actuel Médipôle, Sovel installe en 1940 une vaste usine de montage, accompagnée d’ateliers d’électricité, de mécanique, de peinture, de bureaux d’étude des nouveaux prototypes, et d’une voie de chemin de fer pour exporter les camions flambant neufs.
Grâce à cette nouvelle usine, puis à une troisième construite en région parisienne, la production des Sovel s’envole à 800 exemplaires en 1942. Les principales villes de France en réclament, alléchées par les prospectus édités par la firme, avec force photos et arguments percutants.

Désormais déclinés en modèles de 3 à 17 tonnes, dont une fameuse benne à ordures basculante et à système de compression du chargement, les camions villeurbannais s’avèrent non polluants, aptes à se faufiler dans les rues les plus étroites grâce à leur petite taille, et sont d’un fonctionnement on ne peut plus simple : un bouton de mise en marche, une manette de vitesse, un compteur de charge électrique, un compteur kilométrique, une pédale de frein, un frein à main, et le tour est joué. Dans un Sovel, point d’embrayage, point de boîte à vitesses, de carburateur et, bien sûr, de moteur à explosion, donc presque pas de pannes possibles. Réputés increvables, ces camions rouleront parfois pendant près de 50 ans !
La Libération sonne, hélas, la fin de l’histoire d’amour pour les véhicules électriques. Sitôt les restrictions d’essence terminées, le moteur à explosion reprend ses droits. La production des Sovel décline inexorablement, passant à 300 exemplaires en 1946, 235 en 1948, et plus qu’une dizaine au cours des années 1960. La marque tente de se diversifier, en produisant des charriots élévateurs, des tracteurs de manutention et même des autobus, dont certains équipent des aéroports ou encore la ville nouvelle de L’Isle-d’Abeau. Mais le succès attendu n’est pas au rendez-vous.

En 1977, Sovel est contrainte de fermer ses portes, mettant un point final à une aventure en avance sur son temps. Quarante ans plus tard, en 2017 et 2018, Renault, Volvo, Mercedes et Tesla, sortaient des prototypes de camions et de semi-remorques électriques. Avec, devant eux, un avenir certainement prometteur.

Par Alain Belmont, historien.

Sources : Archives municipales de Villeurbanne/Le Rize, 1 D 285 (3/7/1950), 1 M 138, 1 O 5, 1 O 6, 100 Z 27, fonds Marcel Excler (carton SOVEL). Jean-Noël Raymond, SOVEL, des camions électriques pas comme les autres, 2013, 234 p.

 

1769 : Joseph Cugnot invente la première automobile du monde, un fardier à vapeur.
                        
1800 : Alessandro Volta invente la pile électrique.
                        
1881 : Le constructeur Jeantaud sort la première voiture électrique à batteries.
                        
1895 : La course Bordeaux-Paris-Bordeaux consacre la supériorité des voitures à pétrole sur les voitures électriques.
                        
1899 : La voiture électrique "La jamais contente" dépasse
100 km/h.
                        
1907 : construction du premier camion Berliet.
                        
1908 : Henri Ford sort la Ford T, produite à 15 millions d’exemplaires.
                        
1914-1918 : 10 000 camions et 30 000 voitures électriques circulent aux États-Unis.
                        
1940-1958 : l'entreprise Stela fabrique des voitures électriques à Villeurbanne.
                        
1997 : Toyota sort la Prius, première voiture hybride au monde.
                        
2013 : Renault commercialise la Zoé, voiture 100 % électrique.
                        
2019 : Renault commercialise une gamme de camions électriques.

 

Des camions au service de la ville

Villeurbanne compta parmi les meilleurs clients de la marque Sovel. Après l'essai réussi de 1927, la municipalité décide de s'équiper en camions électriques, tantôt en les achetant, tantôt en les louant à une entreprise spécialisée : la Sleve.

En 1931 par exemple, la Ville utilise deux camions d'ordures de la Sleve et projette de lui en louer cinq de plus, pour faire face à l'accroissement du volume de déchets entraîné par la forte augmentation de la population. En journée, la recharge des batteries s'effectue à un poste public installé en 1930 dans le quartier Grandclément, et la nuit au garage.

Dans les semaines qui suivent l'invasion allemande, Villeurbanne renforce encore son parc électrique, en louant, dès août 1940, des camionnettes à la Sleve, puis en achetant de nouveaux camions chez Sovel en 1941 et en 1945, outre une ambulance de marque Favel en 1944.

En 1947, la flotte de la Ville se compose de quatre bennes à ordures de grand volume, et d'un camion citerne pour nettoyer les égouts. Ils s'alignent fièrement dans un garage spécialement construit pour eux, rue du Docteur-Frappaz. Le bâtiment existe encore de nos jours. Il abrite à présent les "ateliers Frappaz", devenus en 2014 Centre national des arts de la rue.

 

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