C'est notre histoire – Le notaire, gardien des affaires de famille

Présents à Villeurbanne depuis le Moyen Age, les notaires veillaient autrefois, tout comme aujourd’hui, à ce que les actes importants de la vie se passent bien.
Le testament d'Anne Bourdillon, en 1760. Coll. Archives du Rhône

Le testament d'Anne Bourdillon, en 1760. Coll. Archives du Rhône

Elle se tient assise sur une chaise de paille, tout près de la cheminée dans laquelle un bon feu prodigue sa chaleur. Pensez donc, le printemps n’est pas encore arrivé, et la bise souffle comme une diablesse sur sa maison ! C’est donc devant l’âtre qu’Anne Bourdillon, veuve d’un imprimeur et marchand libraire de la ville de Lyon, mais habitant notre commune, reçoit maître Barthélémy Cochard, le notaire de Villeurbanne. Depuis quelques temps la dame est en effet « détenue de maladie corporelle », et juge plus prudent de lui dicter son testament. Maître Cochard affute sa plume d’oie, sort un encrier et une liasse de papier, et commence à rédiger son acte : « Au nom de dieu et a tous soit notoire que ce jourdhuy quatorze mars mil sept cent soixante après midy, pardevant le notaire royal soussigné et present les témoins cy après nommés (…) considérant la certitude de la mort et l’heure incertaine d’icelle, et pour assurer la paix et union dans sa famille après son décès [Anne Bourdillon] a fait et dicté son testament nuncupatif et ordonnance de dernière volonté ». Le ton est assez pompeux et prête aux circonstances, mais en écrivant ces lignes maître Cochard ne fait que suivre les formules prodiguées par La science parfaite des notaires, un livre usé jusqu’à la corde et dont il fait sa bible. D’autres circonstances amènent donc d’autres formules. Un contrat de mariage ? Il commencera par un solennel « A l’honneur et gloire de Dieu ». Un acte plus quelconque, comme une vente immobilière ? Il n’aura droit qu’à un banal « Pardevant le notaire royal soussigné furent présents » untel et untel.

En une année, maître Cochard rédige environ 150 de ces actes. Dans le lot, les quittances, attestant qu’une somme a bien été réglée, sont les plus fréquents, mais l’on trouve aussi des baux de location de fermes, des listes de bétail et d’outils (les « chargés »), des « obligations » (reconnaissances de dette), des brevets d’apprentissage, des contrats de construction, des inventaires après décès énumérant tous les biens d’un défunt, ou encore des « désistements » – comme celui que passa le 23 mars 1760 Françoise Serve, une domestique blessée par un Brondillant et qui décida de retirer sa plainte, moyennant dédommagement. Au total, tous ces actes constituent une mine d’informations extrêmement riches sur la société passée, dont se régalent les historiens et les généalogistes. Pour les clients du notaire, ils sont d’une importance fondamentale. A une époque où à peine 30 % des Villeurbannais savent lire et écrire, ils permettent de garder une trace des accords passés, que l’on conservera soigneusement dans un coffre de la maison. Surtout, ils permettent d’assurer la légalité d’une transaction, et de prouver au besoin, que tel contrat a bien été conclu, ou que telle parcelle est bien votre propriété. Aussi, tous les quatre ans, maître Cochard prend soin de réunir ses actes en un registre relié de cuir marron foncé du plus bel effet.

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Aujourd’hui conservés aux archives du Rhône, les plus anciens de ces registres commencent pour Villeurbanne en 1748, et ont été rédigés par maître Decomberousse, le second notaire du village. Ce ne sont pas les premiers qui aient été tenus dans notre commune, car celle-ci disposait déjà d’un notaire au 15e siècle – excusez du peu ! Il se nommait Jehan de L’Estang, et exerçait en 1485-1487. Pourtant, Villeurbanne n’était alors qu’un tout petit village, seulement peuplé par 100 à 200 habitants. Mais il en allait ainsi autrefois. La moindre localité un tant soit peu étoffée abritait un notaire, là où, de nos jours, on les trouve plutôt dans les villes et les bourgs. Maître Cochard, lui, exerçait son art depuis au moins 1754. Il ne manqua jamais de clients, car aux Villeurbannais s’ajoutaient des habitants de Bron, de Vaulx-en-Velin, de Décines, de Vénissieux et, bien sûr, de Lyon.

Le 16 août 1778, alors qu’il est âgé de 66 ans, Barthélémy Cochard reçoit son dernier acte : la vente d’une vigne à Décines. Puis lui, le petit-fils d’un notaire, passe la main à son propre fils, Claude-François Cochard. Sa plume posée, il se retire dans sa belle maison des Charpennes, environné de sa collection de tableaux, de ses montagnes d’habits et de linges (46 draps, 39 nappes, 
21 serviettes !), et de la procession de registres qu’il a si soigneusement rédigés durant ses vingt-quatre années d’exercice. Il s’éteint en 1782, et est inhumé en présence de son confrère de Cusset, maître Decomberousse.

La fin d'une dynastie

Les Cochard étaient implantés à Villeurbanne depuis la fin du 17e siècle au moins, et au moment de la passation de pouvoir entre Barthélémy et son fils Claude-François, en 1778, l’avenir de leur famille semblait bien assuré. De fait, Claude-François tint à son tour la plume au point de remplir six volumes d’actes. Franc-Maçon, ce digne rejeton était aussi très ouvert aux idées du siècle des Lumières. Mais la Révolution lui fut fatale. En mai 1790, Claude-François Cochard fit courir le bruit que les Villeurbannais voulaient détruire le grand autel de la Fédération dressé à La Doua, où devaient se rassembler près de 100 000 Lyonnais et délégués du sud-est de la France. Le conseil municipal ne lui pardonna pas cet affront, et réclama des sanctions contre lui. Dès lors, sa situation ne fit que se dégrader, au point qu’en octobre 1792, maître Cochard fut contraint de vendre d’urgence son étude de notaire, toutes ses archives, ainsi que sa grande maison. Il en tira 16 000 Livres, une fortune. L’acquéreur fut son propre confrère villeurbannais, maître Joseph-Marie Decomberousse. Entre notaires, l’on pouvait bien s’entraider !

 

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