C'est notre histoire : le francoprovençal [podcast]
3 novembre 2025 - Mis à jour le 4 novembre 2025
Un nouvel épisode de notre rubrique histoire en texte et en podcast !
Venu de Paris, un voyageur du 16e siècle traversa notre région alors qu’il se rendait en Italie. En approchant de Lyon, quelle ne fut pas sa surprise : « En arrivant à Mâcon, j’ai cessé de comprendre [ce que l’on me disait] », écrivit-il dans ses mémoires. Puis, « en arrivant à Valence, j’ai cessé d’être compris ». Et pour cause ! La langue parlée à Paris et dans la moitié nord de la France, le français – ou langue d’oïl -, n’était pas du tout la même que celle parlée en val de Saône, et encore moins en Provence ou vers Montpellier, terres du provençal et de la langue d’oc. Le territoire actuel de la France était en effet parcouru de frontières linguistiques, délimitant ici le flamand, ailleurs l’alsacien, plus loin le breton, ou encore le basque, le corse. Quant aux Villeurbannais, eux parlaient le francoprovençal. Cette langue-ci s’entendait en Jura et dans le sud de la Bourgogne, dans l’Ain, dans l’ouest de la Suisse, dans le nord-ouest du Piémont, en val d’Aoste, en Savoie et Haute-Savoie, en Isère, dans la Loire et donc aussi en Lyonnais.
Ecoutez la version podcast :
Mais je vous entends d’ici, prétendre que nos concitoyens d’hier ne parlaient qu’un patois, et non une langue digne de ce nom ! Que nenni ! Le francoprovençal, tout comme la langue de Molière ou celle de Mistral, avait ses littérateurs, et même ses poètes. Lisez ce qu’écrivait François Blanc dit La Goutte. Né en 1662 et mort en 1742, il habitait à Grenoble et à Claix, un village au sud de la capitale dauphinoise, et fut l’auteur en 1733 d’un ouvrage en francoprovençal intitulé Grenoblou Malhérou, et aussi de recueils de poèmes, dont le Dialoguo de le quatro comare – le « Dialogue des quatre commères ». L’homme était handicapé par un lourd rhumatisme, la goutte, dont il se plaignit en vers :
« Je seu tout rebuti, la goutta me désole,
Je ne poey plus marchié, décendre ni monta
A pompon-lorion je me foey charronta,
A pena din le man poey-je teni mon libro,
Je n’ai plu que lou zieux et quatre deigt de libro »
Ça y est, vous venez de lire vos premières lignes en francoprovençal ! Mais peut-être aurez-vous eu du mal à les comprendre. Essayez de les prononcer à voix haute, vous percevrez leur sens. Toujours pas ? Voici leur traduction : « Je suis tout rabougri, la goutte me désole, Je ne peux plus marcher, descendre ni monter, Sur le dos de quelqu’un je me fais charrier, A peine dans la main je puis tenir mon livre, Je n’ai plus que les yeux et quatre doigts de libres ».
Comme vous venez de vous en rendre compte, le francoprovençal contient des tournures qui nous sont devenues étrangères, mais comprend aussi des expressions qui nous sont familières. Je vais tâcher d’en exhumer d’autres. Si vous abusez des matefaims au dîner de midi, en mangez un cuchon, vous allez vous sentir tout mâchuré, et ne pourrez plus rien avaler au souper du soir. Mais n’allez pas pour autant au médecin, cela va passer.
Ces six expressions mises en italique ne vous sont pas inconnues pour certaines. Et pour cause, nous continuons toujours à utiliser des mots de la langue des anciens Villeurbannais, sans nous en apercevoir, ou bien en croyant qu’il s’agit de tournures d’argot. Comme aussi avec un gone (un enfant), la vogue (une fête), une tomme (un fromage, et pas seulement de Savoie), un miron (un chat), un mâchon (un casse-croute), se bambanner à bade (se promener loin), être après y faire (être en train de le faire). Il flotte comme une mauvaise odeur sur la banque (le comptoir), elle est emboucanée ? L’on va peut-être vous prendre pour un branquignole, un débraillé. Passez donc une patte (un chiffon), et sans faire de la tchatche ou aller aux plosses (des prunelles sauvages, mais aussi aller loin, pour ne rien rapporter). Le tout était dit avec un accent traînant, celui des Lyonnais, qui tend malheureusement à disparaître.
Tout comme a disparu la manière de rouler les r, et de les confondre avec les l. Ainsi en Dauphiné, Barthélémy se disait Balthélémy. Et Belmont, Bermont. Quant au nom ancien de Villeurbanne, vous l’avez déjà entendu : « Villiorbanne », comme le prononcent encore nos aînés. Une tournure directement héritée du Villorbane qu’employaient les gens du Moyen Age.
Ces mots de francoprovençal, au même titre que les Gratte-Ciel ou l’église de Cusset, font donc partie de l’histoire et du patrimoine de notre ville. Ne les oubliez pas. Parlez-les, transmettez-les !
Puis vint le français
L’usage de langues régionales ne facilitait pas la compréhension d’une province à l’autre, et encore moins l’administration du royaume de France. Aussi, en 1539 et par l’ordonnance de Villers-Cotterêts – un village de Picardie où il avait un château –, le roi François 1er décida d’imposer le français comme langue officielle de notre pays. Sa volonté fut suivie à la lettre dans les actes officiels. La preuve, les registres paroissiaux tenus aux 17e et 18e siècles à Villeurbanne par le curé, mais aussi les registres notariés, les procédures de la justice seigneuriale, et jusqu’aux actes émis par la communauté d’habitants (l’ancêtre de notre commune), emploient tous le français. Puis les élites du village se mirent à parler eux aussi la langue du roi et de Paris. Mais quant aux gens du peuple, ce fut une tout autre affaire. Il fallut attendre que l’école publique devienne obligatoire, au 19e siècle, pour que nos gones – et leurs parents – usent à leur tour du français. Et encore, en 1889 les instituteurs de Saint-André-de-Boëge, en Haute-Savoie, se plaignaient que leurs élèves aient « l’habitude de parler patois. On ne peut que difficilement les amener à parler français ».
Repères
1515 : François 1er est couronné roi de France
1515 : les troupes suisses et celles du duché de Milan sont battues à Marignan
1532 : François Rabelais, auteur de Gargantua, arrive à Lyon
1830-1848 : règne de Louis-Philippe, roi des Français
1833 : la loi Guizot instaure l’obligation de tenir une école primaire dans chaque commune
1833 : la loi Guizot prévoit que « l’enseignement comprend nécessairement (…) les éléments de la langue française »
1870-1940 : IIIe République
1881-1882 : les lois de Jules Ferry rendent l’école laïque, gratuite et obligatoire
1890 : Nizier du Puitspelu publie son Dictionnaire étymologique du patois lyonnais
2026 : l’ordonnance de Villers-Cotterêts est le plus vieil acte de loi encore en vigueur en France.