1924 : Lazare Goujon devient maire (podcast)

Voici tout juste 100 ans, le 2 novembre 1924, Lazare Goujon était élu maire de Villeurbanne. Celui qui allait donner naissance aux Gratte-Ciel, venait pourtant d’un milieu très modeste. Récit d’une ascension, en texte et en version podcast.
Les Petites histoires de Villeurbanne épisode 41 : Lazare-Goujon devient maire

Les Petites histoires de Villeurbanne épisode 41 : Lazare-Goujon devient maire

En ce vendredi 23 juillet 1869, à 16 heures passées, la journée de travail n’est pas encore terminée. La ville du Creusot, en Saône-et-Loire, bruisse toujours de l’activité de ses mines de charbon et de ses usines métallurgiques, comptant parmi les plus importantes en France. Mais pour Philibert Goujon, un ouvrier chauffeur chez Schneider âgé de 29 ans, et pour ses deux amis mineurs Louis Mordon et Jean Dru, l’heure n’est plus à alimenter les fours ou à extraire du charbon. Tous trois portent dans leurs bras un tout autre paquet : un bébé, né depuis seulement une dizaine d’heures. Direction la mairie, où le premier adjoint les reçoit, et inscrit derechef l’heureux évènement sur le registre d’état civil. C’est un garçon, le fils de Philibert Goujon, « auquel il donne le prénom de Lazare ».

Il ouvre un cabinet médical à Villeurbanne en 1906

La vie de Lazare Goujon aurait pu être toute tracée : tu seras ouvrier, mon fils, comme ton père. Mais le destin en décida autrement. Scolarisé à l’école du Creusot, le petit Lazare montre très tôt une intelligence bien au-dessus de la moyenne, et des prédispositions pour les études. Au point que son instituteur le présente au concours des Bourses, qu’il réussit brillamment. Ce digne rejeton de l’Instruction publique de la IIIe République est donc envoyé au collège à Louhans, puis au lycée à Mâcon. Après avoir obtenu un baccalauréat en sciences, il quitte la Saône-et-Loire pour entreprendre des études de médecine à Lyon, et passe son doctorat en 1895, à l’âge de 26 ans.

Le désormais docteur Goujon n’en oublie pas pour autant ses origines sociales. Après avoir exercé un temps à Lyon, il décide en 1906 d’ouvrir un cabinet dans une ville ouvrière : à Villeurbanne. L’occasion lui est ainsi donnée de mettre en pratique ses idées politiques, marquées par une adhésion au Parti ouvrier français dès 1888, puis à la SFIO – l’ancêtre du Parti socialiste –, en 1905. Dans le même temps, il se dépense sans compter pour les Villeurbannais, soignant gratuitement les plus démunis, travaillant bénévolement à l’hôpital municipal Frédéric-Faÿs, ou participant à la création de l’Œuvre villeurbannaise des enfants à la montagne.

Retrouvez dès à présent cet épisode, le 41ᵉ de la série, grâce au player ci-dessous.

Il rate le fauteuil de maire pour deux vois

Puis arrive 1922, et l’heure de s’engager plus avant en politique. Le maire de notre ville, le communiste Jules Grandclément – un médecin lui aussi -, vient de démissionner. Des élections partielles ont lieu, qui se concrétisent par l’arrivée de 15 conseillers municipaux socialistes, dont Lazare Goujon. Lequel brigue aussitôt l’écharpe de maire ! Mais elle lui échappe à deux voix près : le communiste Paul Bernard obtient 17 bulletins, et le docteur Goujon 15.

Il collabore dès lors à la gestion de la ville lorsqu’il estime la cause juste, mais fait surtout preuve d’une franche opposition, prenant la parole à tour de bras durant les conseils municipaux, contestant les procès-verbaux, jetant même la suspicion. Comme avec cette affaire de wagons de charbon achetés par la mairie, mais dont on a mystérieusement perdu le chargement. Malversation ? Non, répond le maire quelques semaines plus tard, le charbon a été racheté par ses vendeurs. Mais il y avait de quoi pourrir l’ambiance. L’opposition de Lazare Goujon et de ses amis socialistes aboutit à la démission du maire Paul Bernard : le 6 août 1924, mis en minorité lors d’un vote budgétaire, il déclare à son conseil « vous n’avez plus de maire ». 

1924 : Lazare enfin maire

Le président de la République prononce peu après la dissolution de la municipalité, amenant à de nouvelles élections. Celles-ci se déroulent le 26 octobre 1924, et voient le succès du camp Goujon, avec 5151 voix. Désormais pourvu d’une majorité radicale-socialiste, le Conseil municipal élit Lazare maire, le 2 novembre 1924. Ce fut pour lui un raz-de-marée, puisqu’il obtient 32 voix sur 34. Son premier geste fut de se rendre au Panthéon, à Paris, pour se recueillir sur les cendres de Jean Jaurès. Puis il inaugura très vite une politique visant à améliorer l’encadrement médical et scolaire des Villeurbannais. Ainsi avec la création de cours d’éducation physique et artistique, en mars 1925, car les enfants « nous donneront plus tard des hommes et des femmes robustes et intelligents ». Le bon docteur prenait soin de sa ville. Et pas qu’un peu : parmi de très nombreuses réalisations, en 1934, il inaugurait les Gratte-Ciel.

Les Gratte-Ciel en construction. Coll. Le Rize

Les Gratte-Ciel, une utopie réalisée

La grande œuvre de Lazare Goujon fut de s’attaquer à un mal récurrent de Villeurbanne, le mal logement. Il entendait éradiquer les bidonvilles de sa ville, et aussi la doter d’un nouveau centre urbain. En mai 1927, il proposa au conseil municipal d’édifier le Palais du travail, à la fois lieu de réunions publiques, théâtre, piscine couverte, et dispensaire médical. Puis, en 1930, vint le tour d’un nouvel hôtel de ville, et surtout d’un programme de 1500 logements : les Gratte-Ciel. Le premier coup de pioche fut donné en 1931, puis les charpentes métalliques se dressèrent promptement vers le ciel. Avec ses immeubles de 9 à 11 étages, ses deux tours de 60 mètres de haut, ses appartements munis d’équipements ultra-modernes, ce quartier surpassait tout ce qui se faisait en région lyonnaise, et même en Europe. « Il ne tiendra qu’à toi pour profiter de la civilisation nouvelle », avait écrit un jour Lazare Goujon à son fils. Son rêve devint réalité. Inauguré en grande pompe le 17 juin 1934, ce cousin de Manhattan fête à présent ses 90 ans.

Repères

1852-1870 : Napoléon III est empereur des Français
1870-1940 : IIIe République
1885 : Emile Zola publie Germinal
1921 : Villeurbanne compte 56 110 habitants
1924-1931 : Gaston Doumergue est président de la République
1924 : Louis Forton crée le personnage de BD Bibi Fricotin
1931 : inauguration de l’Empire State Building, à New York
1934 : inauguration à Lyon du quartier des Etats-Unis, œuvre de Tony Garnier
1935 : défaite de Lazare Goujon aux élections municipales
1936 : Villeurbanne compte 81 322 habitants
1947-1953 : Lazare Goujon, de nouveau maire de Villeurbanne
1960 : décès de Lazare Goujon

> Sources : Archives départementales de Saône-et-Loire, 5 E 153/35. Archives municipales de Villeurbanne (Le Rize), 1 D 275 à 277. M. Moissonnier, « Lazare Goujon », notice du Maitron.

 

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