C'est notre histoire : Les voitures de nos rêves [podcast]
26 décembre 2025 - Mis à jour le 26 décembre 2025
Collections de voitures Norev 1955/1957 @DR
Septembre 1973. Le petit Julien et son copain Kader se présentent avec leurs bolides sur la ligne de départ. A gauche, Kader fait vrombir les cylindres de sa Chevron BMW 23, un modèle de l'année, magnifique dans sa carrosserie bleue, et qui s'est illustré aux 24 heures du Mans sous le numéro 21. A droite, Julien se tient prêt à écraser l'accélérateur de sa Porsche Carrera 1500, un modèle mythique de 1958, que son frère aîné pilotait déjà avant lui et qui a remporté au moins dix fois le grand prix de la rentrée. Dans la cour de récréation, les gosses en blouse s'agglutinent autour du circuit tracé à coups de craie sur le goudron. 3, 2, 1, partez ! Les voitures s'élancent dans un grand rugissement de voix d'enfants imitant les moteurs. S'il n'y avait pas les murs de l'école pour rappeler la réalité, on se croirait presque à une course de grands. Il faut dire que les voitures miniatures poussent le réalisme jusqu'à afficher les publicités des sponsors réels des champions du Mans ou du Nürburgring.
Tout part d'une montre en plastique...
Derrière ces rêves de gones figure une entreprise villeurbannaise, Norev. Elle est née en septembre 1945, lorsque quatre enfants d'un représentant en fils d'or, les frères Véron, ont décidé de s'unir pour créer des jouets en plastique. C'est Joseph qui en a eu le premier l'idée. Ouvrier chimiste à l'usine Rhodiaceta de Vaise, il a profité de son temps libre pour fabriquer des fausses montres munies d'aiguilles tournant pour de vrai. L'idée et l'objet ont convaincu ses frères Paul, Émile et plus tard Pierre, à se lancer dans l'aventure. Ensemble, les frères Véron s'installent à Villeurbanne dans un atelier en fond de cour du quartier des Iris, qu'ils baptisent de leur nom de famille inversé, pour ouvrir les portes de l'imaginaire : NOREV.
Très vite, la montre en plastique se taille un succès auprès des clients en culottes courtes, au point que les frères Véron décident de diversifier leur production de jouets. En 1952, après avoir obtenu le feu vert des usines Simca, ils sortent leur premier modèle de voiture, une Aronde, l'une des autos préférées des Français. Avec sa carrosserie en plastique teintée dans la masse, son plancher métallique pour lui donner plus de solidité, et surtout ses détails particulièrement fignolés qui feront la réputation de la marque, l'Aronde des Véron s'arrache comme des petits pains. Les Norev ont trouvé leur public.
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Deux usines à Villeurbanne
En ces « Trente glorieuses », le temps est à la consommation de masse et aux loisirs, pour les enfants comme pour les grands. Avec un sens inégalé du marketing et de la publicité, les Véron partent à la conquête des gosses de France, entrent dans toutes les maisons et « en peu de temps, se hissent au premier rang, et de loin, dans leur domaine » (Philippe Videlier). L'entreprise déménage en 1956 pour la rue du 4-Août-1789, où une usine de 10.000 m2 emploie 200 à 300 ouvriers, des femmes surtout.
Le rythme s'accélère dans les années 60, poussant Norev à embaucher 500 ouvriers à domicile pour assembler les pièces, puis à ouvrir en 1970 une deuxième usine rue Decomberousse, dans le quartier de La Soie, capable de sortir 100.000 petites voitures par jour. La firme atteint son apogée en 1976, avec au catalogue plus de 150 modèles d'automobiles, de camions en tous genres, de tracteurs, de caravanes et de tout ce qui roule sur les routes, sur les chantiers ou dans les champs, désormais fabriqués avec un alliage métallique - le "zamac", plus seyant que le plastique des origines.
Des voitures fabriquées à plus d'un million d'exemplaire
La marque conserve quelques véhicules cultes, mais colle au plus près de l'actualité en sortant ses miniatures quelques mois après la mise en circulation des vraies automobiles. Aux Panhard, Peugeot 203 et Traction Avant des premiers temps succèdent des Coccinelle, des 4L, des R5, des DS, la SM du président Giscard-d'Estaing, et bien sûr les reines des circuits, les Ferrari, les Ligier, Lola, Alpine, Matra, Maserati (etc.), dont certains modèles sont fabriqués à plus d'un million d'exemplaires !
Alors qu'elle roule à pleine vitesse sur la voie du succès, Norev effectue une première embardée en 1978. La concurrence des Majorette et des Matchbox fait rage, tandis que les goûts des enfants évoluent et se tournent vers les jeux de société, les légos et les premiers jeux vidéos. Les déficits apparaissent, les caisses de l'entreprise se vident. Un premier redressement intervient en 1980 mais il ne suffit pas à sauver l'entreprise. Les effectifs tombent à 300 personnes, tandis que Joseph Véron passe le volant à son neveu, Marc Fischer. Nouvel incident en 1986. Norev dépose le bilan et frôle la sortie de route, en évitant de justesse le rachat de la marque par Majorette. Le salut vient de son PDG, qui mise sur les voitures de collection, essentiellement des modèles rétros destinés à une clientèle adulte. Norev restreint néanmoins la voilure, et ferme en 1991 ses deux usines villeurbannaises. L'aventure des petites voitures se poursuit mais désormais à Vaulx-en-Velin, avec une trentaine d'employés.
Du bolide au jouet : une prouesse miniature
La fabrication d'une réplique miniature d'une voiture représente un véritable tour de force. Dès qu'un nouveau modèle sort chez Renault, Simca, BMW ou autre, Norev se procure ses plans cotés auprès du constructeur. Toutes les dimensions sont alors réduites à l'échelle 1/22e, puis des ouvriers spécialisés sculptent une maquette en plâtre. Un pantographe prend le relai, qui reproduit à l'échelle 1/43e les formes générales de la maquette sur un bloc d'acier destiné à devenir le moule des futures miniatures. Puis les détails comme les poignées de portes sont gravés. Le moule terminé, on coule le plastique ou l'alliage métallique à l'intérieur et il en sort un modèle réduit que des ouvrières munissent à la main de ses roues et de tous ses accessoires, avec une grande dextérité malgré la difficulté de travailler à la chaîne. L'auto est terminée. Il ne reste plus qu'à la ranger dans sa boite en carton imitant une caisse en bois. La petite Norev est prête à rejoindre les rayonnages du marchand, où commencent nos souvenirs d'enfants.
Repères
1945-1974 : forte croissance économique : les "Trente glorieuses"
1952 : émeutes en Tunisie contre la colonisation française
1952 : mort d'Eva Peron en Argentine
1954-1977 : Étienne Gagnaire, maire de Villeurbanne
1956 : nationalisation du canal de Suez par l'Egypte du colonel Nasser
1958 : Charles de Gaulle devient président de la République
1964 : Après avoir quitté Norev, Émile Véron fonde la marque Majorette
1970 : Michel Sardou, Johnny Halliday, Léo Ferré, Pink Floyd, Simon et Garfunkel, Jimi Hendrix, les Bee Gees, Elton John, John Lenon figurent parmi les stars musicales de l'année
1973 : début d'une crise économique mondiale
1974-1981 : présidence de V. Giscard-d'Estaing
1990 : décès de Charles Hernu, maire de Villeurbanne depuis 1977
1991 : guerre du Golfe au Koweït et en Irak, contre les troupes de Saddam Hussein
Sources
D. Beaujardin, B. Bollé et D. Darotchetche, Les belles autos de Norev, éditions Grancher, 2003. P. Videlier, Usines, éditions La Passe du vent, 2007. Site internet www.norev.com. Archives de Villeurbanne (Le Rize), 1 AV 36/1 à 9 et 7 T 866 (1041/47).