[LA PAUZE] - Regards croisés sur l’occupation du TNP
1 juin 2021
Cécilia et Robert, occupants du TNP
Pourquoi êtes-vous là, que revendiquez-vous ?
Ce mouvement d’occupation, lancé par l’Odéon le 4 mars dernier, existe depuis plusieurs mois. Très vite les questions de revendications et de communiqué ont amené à questionner la nécessité de sortir de ce pré carré de la culture car c’est une crise qui touche le plus grand nombre.
Les occupants sont là avant tout pour des raisons sociales, des raisons solidaire. Le communiqué affiché sur le frontispice du TNP est inscrit dans une forme de défense par rapport à l’attaque que subissent les conquis sociaux. Il concerne l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage, le renouvellement de l’année blanche à compter d’un an à partir de la reprise définitive de l’activité dans tous les secteurs qui ont été empêchés et son élargissement à tous les intermittents et intermittentes de l’emploi (pour le moment elle n’a été accordée qu’aux intermittents du spectacle or ce n’est pas le seul domaine qui fonctionne sur ce mode là).
« Il était important que la convergence des luttes puisse avoir lieu ce printemps. »
De manière plus générale ils portent aussi les revendications concernant les jeunes : le RSA jeune à partir de 18 ans et jusqu’à 25 ans, l’élargissement du statut d’étudiant. Ils soutiennent également des communiqués allant dans le sens de la suppression des lois liberticides comme la Loi sécurité globale.
Le 3 avril au matin, une action a été menée auprès des employés de Carrefour pour protester : la crise sanitaire aurait largement profité aux actionnaires, tandis que les travailleurs « ne récupèrent que les miettes » sans même parler de leurs conditions de travail. Ce qui est contesté ici c’est que les gens qui participent à la société perdent leur outil de travail. Les médecins et ceux qui travaillent dans le médical perdent la gestion de l’hôpital. Cette tendance mène à une gestion déconnecté de la réalité.
Alors peut-on dire que vous êtes tous là pour la même chose ?
C’est d’abord le CU 69 (Collectif Unitaire 69) qui est un acteur majeur dans cette occupation, or c’est déjà une coordination collective et unitaire de plusieurs luttes donc c’est ici, dès le départ, que commence la convergence.
« C’est un héritage de différentes luttes qui avance vers plus de convergence »
Par ailleurs les communiqués sortant de l’occupation du TNP sont votés en AG. C’est donc une parole collective et approuvée qui est rendue.
Très concrètement pouvez-vous nous citer quelques actions que vous avez menées et quelles sont les plus marquantes ?
L’occupation du TNP elle-même, qui n’est pas un hasard. Les occupants se sont installés au Théâtre National Populaire avec l’idée de rendre à ces mots leur valeur et de profiter de son aura pour ensuite aller vers plus de diffusion.
L’occupation de la direction régionale de Pôle emploi le jeudi premier avril. C’est une action qui a été imaginée et pilotée par la commission action assurance chômage. Opération réussie : une délégation a été reçue par la direction régionale de Pôle emploi et les revendications sont remontées à la direction générale puis à Paris et au ministère du travail. Elles concernaient l’assurance chômage, l’année blanche et la baisse du seuil d’heures pour les personnes qui accèdent pour la première fois au statut d’intermittent.
Depuis mercredi 31 mars la préfecture commence à annuler les manifestations dont le collectif est cosignataires. Mercredi, c’était le Carnaval contre toutes les expulsions (notamment animé par le collectif de solidarité de Cusset et le squat de l’Ile Egalité à Villeurbanne) qui a été entravé et qui a finalement pris la forme d’un concert depuis le balcon du TNP et d’échange de tracts et de rencontres en petits groupes sur la place Lazare-Goujon.
Le 3 avril, c’était le tour de la manifestation anti fasciste qui devait se dérouler depuis la place des Terreaux suite à l’attaque de la librairie La plume noire par une cinquantaine d’identitaires d’extrême droite.
« Pour avoir des gens qui ne soient pas que des robots qui apprennent par cœur et qui font un travail mécanique comme on a tendance à le voir beaucoup, mais des gens qui réfléchissent avant tout »
Les actions menées pour l’éducation tiennent également particulièrement à cœur les occupants. Ils dénoncent notamment le manque de moyens, les classes surchargées (avec 35 à 40 élèves par classes), la division des élèves par secteurs. Ces conditions ne permettent pas de développer le sens civique chez les jeunes.
« Pas de réouverture sans droits sociaux »
La question de la réouverture des théâtres n’est donc pas le but principal de l’occupation.
Comment vous organisez-vous ?
Ce mouvement est l’héritage des luttes antérieures mais l’occupation du TNP marque un nouveau commencement.
« Occupons à l’intérieur pour faire des actions à l’extérieur »
Il y a des AG trois fois par semaine (où la reconduction de l’occupation est à chaque fois soumise au vote) pour décider, voter des grandes lignes et de la forme que va prendre le mouvement. Les conditions d’une action sont définies en AG ouverte, puis l’AG vote pour mandater une commission qui va travailler à la réalisation de l’action dans ses détails qui, pour une raison de sécurité, sont d’abord tenus secrets. Le jour J les participants se présentent, conscients du degré de risque, pour mener à bien cette action.
Le quotidien est donc assez studieux, partagé entre le travail au sein des différentes commissions et les AG en milieu de journée.
Ce mouvement est-il voué à perdurer quand la situation aura évolué ?
« On ne se laissera pas diviser par de la poudre aux yeux »
Tout dépend de la manière dont la situation évolue. Si les salles de théâtre rouvrent mais que les revendications ne sont pas écoutées, l’occupation perdure.
Vous sentez vous soutenus dans vos revendications ?
Au niveau local oui (soutien des associations et d’autres collectifs par des dons financiers utilisés pour manger et se procurer du matériel, et des dons en nature). La cohabitation se passe bien. Les AG sont fréquentées. Il est donc possible de parler d’un soutien de cœur de la population qui pourtant n’est pas toujours au courant dans les détails dans la mesure où les relais médiatiques ont tendance à orienter les discours des occupants et à créer des clivages très corporatifs où les gens de la culture militeraient uniquement pour la culture.
Pourtant, niveau politique, c’est autre chose. Il y a beaucoup de répression policière lors des manifestations et de plus en plus violente, la préfecture est de plus en plus autoritaire. »
Considérez-vous que ce mouvement est porté par l’espoir du changement ou par une forme de pessimisme qui serait de se dire qu’il n’y a plus rien à perdre ?
Le gouvernement use souvent de comparaisons pour dire que par rapport à d’autres, ceux qui militent et manifestent ne sont pas si mal et deviennent donc des privilégiés. Or ce sont ces privilégiés qui devraient être la normalité et non l’inverse.
Si une lutte débute en désespoir de cause, la convergence est impossible.
« Le rapprochement entre détresse ou lutte de droit, c’est toujours sur un fil »
Il y a toujours de l’espoir dans une lutte sinon personne n’aurait la force de lutter. Il y a l’espoir que les choses changent, et la certitude de se battre pour une cause juste.
Au delà de l’espoir il y a la connaissance de notre histoire. Les conquis sociaux existent, ils portent un principe de solidarité nécessaire. Il faut les les protéger. »
Stephan Frioux, adjoint à la culture de Villeurbanne :
Que pensez-vous de la récente occupation du TNP ?
« Cette occupation s’inscrit dans un mouvement d’ampleur nationale, qui vise à faire entendre le malaise du secteur culturel qui a été très touché par les restrictions sanitaires depuis mars 2020, et est victime d’une fermeture totale des structures accueillant du public depuis octobre 2020. Je crois qu’il est important d’entendre les revendications des actrices et acteurs de ce secteur, dont l’importance dans le lien social et la transmission de valeurs est vitale. »
Le théâtre et les occupants semblent entretenir de bonnes relations, la Ville a-t-elle aussi un rôle dans cette équation ?
« En fait, la Ville est propriétaire du bâtiment du TNP, le bâtiment principal qui donne sur la place Lazare Goujon est le « Palais du Travail » qui fut construit à la même époque que le quartier des Gratte-Ciel et que la mairie, à la fin des années 1920 et au début des années 1930. Les occupations concernent, un peu partout en France, des lieux de culture qui sont également des bâtiments municipaux. »
Les revendications des occupants sont-elles tout ou partie destinées à la mairie ?
« Les revendications sont bien plus larges, elles s’adressent avant tout au gouvernement. Dans le domaine de la culture, il y a par exemple la demande d’extension de « l’année blanche » octroyée aux intermittents qui s’achève pour l’instant en août 2021 (les intermittents ont besoin de travailler un certain nombre d’heures dans l’année pour obtenir leurs droits d’indemnisation). Mais on trouve également des revendications liées à des projets politiques gouvernementaux (réforme de l’assurance-chômage) ou à la situation du personnel des structures de santé (infirmières et infirmiers, aides-soignants). »
En tant qu’élu local, avez-vous la possibilité de répondre à leurs demandes dans une certaine mesure ou est-ce seulement à l’échelle nationale que les choses se jouent en ce moment ?
« Comme je viens de l’expliquer c’est au niveau national que se trouve la clé pour répondre aux occupants du TNP. Les élus locaux soutiennent depuis plusieurs mois les revendications de réouverture des lieux culturels, qui sont restés fermés tandis que les lieux commerciaux étaient ouverts. »
Merci à tous les trois d’avoir accepté de répondre à nos questions et pour le temps qu’ils ont bien voulu nous accorder ! Merci à Arthur pour l’enregistrement.
A voir :
> CU 69
> Carnaval contre toutes les inégalités
> Ile égalité
> Librairie La plume noire