LA PAUZE - Interview de Gaëtan Constant
8 avril 2022
- Pouvez-vous tout d’abord vous présenter ?
« Je m’appelle Gaëtan Constant, je suis adjoint au maire de Villeurbanne en charge de la question du numérique et de la qualité de service public. »
- Pouvez-vous nous présenter le concept des lives twitch avec les élus ?
« Il y a plusieurs concepts d’émissions. Mais, initialement, je voulais créer la rencontre entre deux mondes qui me passionnaient et que j’avais envie de mêler : le monde du jeu vidéo et le monde politique. Ce projet faisait sens, car dans notre programme, que ce soit au niveau du développement économique, au niveau de l’émancipation et sur les questions du numérique, il y de nombreuses concordances entre le monde du jeu vidéo et ce que nous voulons porter comme projet dans notre programme politique et sur lesquelles nous avons la compétence.
La question de la transition démocratique m’anime particulièrement car elle permet de développer nos capacités à innover, à créer de nouvelles formes de contact avec les habitants. De cette manière, il nous semblait que Twitch, pouvait être un bon canal de discussion et de contact avec les habitantes et habitants. »
- Pour ceux qui ne connaissent pas forcément Twitch, pouvez-vous nous expliquer concrètement ce qu’il se passe sur ces lives ? Que cela soit en général ou dans le cas de la mairie.
« Twitch vient du monde du jeu vidéo. C’est une plateforme de streaming, de diffusion de vidéos en direct qui a été créé 2012. Des joueurs et des joueuses peuvent se filmer en train de jouer et les diffuser en direct sur la plateforme. Mais, la plus-value apporté par la plateformeTwitch, c’est de pouvoir rentrer en interaction avec le public qui nous regarde jouer en direct. Le chat permet un contact privilégié entre les lecteurs et les streameurs (ceux qui diffusent et produisent les vidéos). On trouve de plus en plus sur Twitch de talk show, de cours de cuisine et autres activités…
De notre côté, la première émission avait pour but de vulgariser la politique publique : Comment parler d’urbanisme, de végétalisation en ville et de tout ce que la ville est en capacité d’impulser tout en jouant à un jeu vidéo.
La première émission de vulgarisation que nous avons diffusée en avril 2021 était un live Twitch sur l’urbanisme avec la première adjointe, Agnès Thouvenot, en charge de l’urbanisme. Je jouais à un jeu de construction, qui s’appelle « City Skyline », où on construit notre ville, on gère les cours d’eau, la construction des maisons, les industries et plusieurs autres paramètres d’urbanisme… A travers ce jeu, nous pouvions nous poser des questions afin d’expliquer ce que pouvait être l’urbanisme. Plus tard, nous avons fait un « Animal Crossing » pour parler de la végétalisation en ville. Ensuite, nous avons fait un « Mario Party » pour parler d’engagement citoyen et de démocratie et plus récemment nous avons lancé un nouveau concept sur le décryptage du conseil municipal. Le but est de parler de politique publique à travers un format un peu plus ludique comme le jeu vidéo. »
- Parmi les gens qui vous suivent aujourd’hui sur Twitch, est-ce que ce sont plutôt des gens qui étaient déjà sur Twitch et que vous avez réussi à fédérer autour de Villeurbanne ou alors ce sont de nouveaux arrivants sur Twitch qui sont venus grâce à ce que vous proposez ?
« Nous n’avons pas réalisé d’études analytiques sur ce point. Mais je pense qu’il s‘agit plutôt de comptes de jeunes qui étaient déjà sur Twitch et qui ont vu ce que la ville faisait.
Le frein que nous avons identifié est le faible niveau d’audience. Cela nous a permis de nous poser la question de la fréquence. Il s’avère que je suis seul à animer cette chaîne, ce n’est pourtant pas mon métier ni même une vocation, ma fonction première étant d’assurer mon rôle d’élu. Pour autant, nous essayons de proposer des contenus variés et d’augmenter la fréquence des live Twitch. Mais n’étant pas un professionnel, ce niveau d’exigences reste compliqué à maintenir, sachant qu’aujourd’hui toute l’installation se fait dans mon bureau. C’est pourquoi j’aimerais valoriser le fait que ce projet relève de compétence qui dépasse le simple cadre de l’amusement. C’est un vrai métier qui nécessite des professionnels compétents pour produire ce type de contenu.
- Vous n’avez pas eu de craintes par rapport à la réaction de l’audience du fait qu’il s’agit de politique ?
Nous sommes transparents concernant notre démarche et nous n’avons jamais reçu de tacle sur ce point. A titre personnel, j’y vais en toute honnêteté, et non par opportunisme contrairement à d’autres politiques qui peuvent sentir que le vent tourne dans cette direction. J’y vais parce que je sens qu’il y a une cohérence et qu’il y a quelque chose à apporter. J’y vais sans la prétention de vouloir faire voter les gens pour mon parti, et sans prosélytisme. Mon souhait principal étant de rendre la politique un peu plus fun et un peu plus accessible tout simplement. »
- Tout à l’heure vous parliez d’échange et d’interaction par ces lives. Vous avez aussi parlé d’une forme de vulgarisation à faire. Vu que vous ciblez un public plutôt jeune, est-ce que ce sont vraiment les deux premières intentions de ces lives ?
« Il y a vraiment un objectif d’interactivité. Le conseil municipal, par obligation légale, est très formel, souvent long et plutôt technique. Même s’il est accessible en ligne, sur Youtube, car nous le retransmettons, et que le public peut venir y assister, cela ne signifie pas, à mon sens, qu’il est accessible. Il est certes disponible à tout à chacun, cependant lorsque je parle d’accessibilité, je souhaite mettre l’accent sur notre capacité à prendre 2-3 sujets du conseil municipal pour les analyser en direct et rendre intelligible leur contenu. C’est ce qui donne du sens à ces temps de décrypte qui nous permettent de présenter les documents, de les partager, comme dans une revue de presse.
Par exemple lorsque nous présentons le plan de lutte contre les discriminations et que l’un des vieweurs pose la question suivante : « Est-ce que ce n’est pas un peu bobo la lutte contre les discriminations ? ». Il s’agit d’un point de débat politique qui m’intéresse. C’est-à-dire que nous, politiquement, nous prenons des décisions qui nous semblent importantes, et la question de cet habitant nous permet de rendre explicite notre projet politique et de défendre nos points de vue. Il faut toutefois être vigilant à la forme que propose le twitch puisque les viewers ne disposent que de l’écrit lorsque l’animateur s’exprime à l’oral, ce qui limite la possibilité de débat et qui confère un avantage certain à l’animateur.
De plus, lorsque nous prenons une délibération du conseil municipal qui est très technique comme la préemption d’un terrain (la préemption c’est la mairie qui a pris la priorité pour acheter le terrain). La délibération dit que c’est une préemption mais si l’on prend le temps d’en discuter, alors nous pouvons expliquer que l’objectif de cette préemption est de créer un jardin partagé. Cela permet de rendre concret le projet politique porté par le conseil : « la mairie achète ce terrain pour développer un jardin partagé ce qui va induire qu’une association va s’implanter sur ce territoire pour animer la gestion du jardin partagé ».
- Y-a-t-il une volonté de faire en sorte que la mairie ou le maire soit plus proche des villeurbannais ?
« Pour moi, tout est question d’envie, avec le renouvellement des pratiques, avec le renouvellement de l’équipe, d’avoir un peu plus de proximité. Même si avec le COVID, nous ne pouvions pas faire de marchés, nous avons quand même essayé de faire des actions pour présenter notre plan de mandat l’été dernier. Ça vient donc en complément de nos actions.
C’est ce que je dis aux autres élus, nous avons la possibilité aujourd’hui d’avoir une instance, un endroit, où nous pouvons parler plus librement, de manière plus détendue. L’autre jour c’était flagrant, lorsque nous avons fait le live Twitch avec le maire et avec les jeunes qui organisent le festival à la Feyssine. Avec le maire, nous nous tutoyons dans ce format-là, là où au conseil municipal, nous nous vouvoyons. Mais c’est voulu, c’est-à-dire que je n’ai pas l’hypocrisie de le vouvoyer exprès. Au conseil municipal, pour moi, nous avons des rôles, je suis adjoint au maire, je ne suis pas Gaëtan, et ce n’est pas Cédric Van Styvandael mais le maire de Villeurbanne. C’est quelque chose qui se discute, mais c’est comme ça que je le vois. Au conseil municipal, nous avons des postes, des représentations et une certaine forme à respecter. Là où, sur les lives twitch, je considère que cela s’apparente à une simple réunion, il y a une certaine proximité qui peut s’instaurer et c’est que je cherche à retranscrire. Un usager sur le chat qui nous tutoierait, ça ne me gêne pas, au contraire c’est ce qui permet de faciliter le lien et la communication entre le citoyen et les élus.
Quand nous avons dessiné et que les viewers ont plaisanté sur les compétences du maire en matière de dessin, celui-ci s’est fait prendre au piège par le format très décontracté que permet Twitch. Ce sont des moments qui ne pourraient se produire sur une réunion publique ou lors d’un conseil municipal. Je pense que cela permet aussi de se rendre compte que l’on ne se transforme pas lorsque l’on accède à des fonctions d’élus. En ce qui me concerne, il y a peu de changements dans ma vie, je reste la même personne avec des fonctions en plus que l’on m’a confiée. Je pense que cela peut jouer un rôle dans la proximité que nous pouvons avoir nos concitoyens ».
- Y-a-t-il déjà un programme établi pour les prochains lives ?
« Nous essayons d’avoir une programmation, une ligne éditoriale parce que nous essayons de professionnaliser cette expérimentation. Nous essayons aussi d’avoir un planning des différents décryptes en ciblant certains conseils municipaux. Je travaille également sur le fait que les élus et les services de la ville anticipent plus en amont ce qu’il va se passer dans les différentes délibérations pour pouvoir les travailler et donc pouvoir les inviter pour leur demander d’en dire un peu plus.
Nous essayons d’avoir des lives Twitch thématiques tous les 3 ou 4 mois sur l’éducation, la lutte contre les discriminations, la santé ou encore les solidarités. De mon côté, j’essaye de réfléchir à comment je peux y associer un jeu. Nous avons un studio de jeux vidéo qui fait des serious games (des jeux engagés) qui s’appelle Dowino et qui se situe sur Villeurbanne. Je me dis qu’il pourrait être pertinent de proposer leurs jeux lors d’un live Twitch.
Nous avons également des dates où nous aimerions bien, à l’occasion de Villeurbanne Capitale Française de la Culture 2022, mettre en place ponctuellement des projets. J’ai en tête un « Geoguesser » avec les élus et les citoyens. Pourquoi ne pas faire un petit concours sur ce même jeu, mais sur Villeurbanne ? Faire découvrir la ville de manière ludique.
A ce stade, ce projet reste encore très amateur dans la conception parce que nous ne sommes que trois à le porter. Nous n’avons, pour le moment, pas plus de matériel que celui que me confère ma fonction en tant qu’adjoint au numérique. Il n’y a pas de studio fixe. Nous sommes encore en train d’explorer ce que peut nous offrir ce type de support ».
- Il y a des tournois sur twitch qui se tournent à Villeurbanne, au Pôle Pixel, y-a-t-il un lien ?
« Il y a des streameurs comme Antoine Daniel qui travaillent avec la société « ZQSD » qui ont un beau studio. Mais le côté politique peut-être un frein, certaines sociétés peuvent ne pas souhaiter être associées à un projet politique. Cela reste encore deux mondes distincts dont les ponts restent à construire ».