Cathy Quantin-Nataf : Mission to Mars
26 décembre 2025 - Mis à jour le 26 décembre 2025
Cathy Quantin-Nataf est enseignante-chercheuse : la moitié de son emploi du temps est consacré à l'enseignement et à l'organisation de formation, l'autre moitié à l'exploration spatiale. Si elle est aujourd’hui l’une des géologues les plus émérites de sa génération, et la première femme à avoir reçu la médaille Runcorn-Florenski pour ses travaux, Cathy Quantin Nataf ne se destinait ni à de longues études ni à l’exploration spatiale.
Après son baccalauréat, cette passionnée de montagne est d’abord partie travailler en refuge d’altitude. Au bout d’un an, elle s’engage dans des études de géographie, qui l’ennuient et la poussent à s’intéresser en parallèle à la géologie. S’en suit un double diplôme, une thèse sur les glissements de terrains sur Mars et un post doc au laboratoire de planétologie de Washington.
En direct de la planète rouge
Viva - L’exploration spatiale depuis un bureau à la Doua, ça consiste en quoi ?
Cathy Quantin-Nataf - Eh bien par exemple en ce moment on est impliqué sur une mission de la NASA, [Mars 2020, ndlr], avec un rover à la surface de Mars [Perseverance, ndlr], qui est piloté tous les jours : on reçoit des données de ce rover sur nos ordinateurs et on travaille à l’analyse de données martiennes, et ça on peut le faire depuis où on veut, y compris depuis Villeurbanne [rires] !
C’est un peu particulier ce genre de mission parce qu’il y a une partie pilotage, qui nous permet d’acquérir ces données mais qui est compliquée parce qu’on est à 200 000 km. Chaque jour on récupère ce que le rover a fait la veille, on vérifie que tout va bien que tous les instruments vont bien c’est très long ; et après on planifie ce qu’il va faire le lendemain, donc on lui prépare son plan de travail, qu’on lui envoie et qu’il va exécuter. Ça c’est une partie très opérationnelle et il y a environ une centaine de personnes chaque jour dans le monde dédiées au pilotage de Perseverance.
Et ensuite il y a une partie un peu plus sur le temps long où les données qui nous parviennent de Mars sont analysées par les scientifiques, dont moi.
Quel type de données analysez-vous ?
Moi je suis géologue, je suis spécialiste des roches et des roches martiennes en particulier. C'est ce que j'analyse grâce a un instrument embarqué sur le rover qui est une innovation française : c’est d'ailleurs la raison pour laquelle les français sont impliqués sur cette mission américaine. On est une quarantaine de scientifiques en France à travailler sur cette mission.
Quel est l’objectif de Mars 2020 ?
Avec l’exploration de Mars, on cherche à savoir si la vie s’est développée ailleurs dans le système solaire. À la base on cherchait de l’eau liquide ; on a vu qu’il y avait des traces d’eau liquide à la surface de Mars, c’est pour ça qu’on y a envoyé tant de missions. Après on a compris que la chimie de cette eau avait été favorable à l’émergence de la vie, donc cette mission Mars 2020 avec ce rover Perseverance doit trouver des traces de vie, ce qui est très ambitieux hein !
Le rover collecte des échantillons qui devraient être ramenés un jour sur Terre dans nos laboratoires pour analyser s’il y a eu des traces de vie.
Vous avez reçu la médaille Runcorn Florensky, qu’est-ce que le fait de la recevoir a changé pour vous ou pour votre travail ?
J’étais très contente même si ça m’a d’abord un peu attristée parce que je me suis rendue compte que j’étais la première femme à la recevoir, mais pour moi c’était très important qu’il y a ait enfin une scientifique qui la reçoive, donc je l’ai prise comme une reconnaissance de mes pairs masculins pour mon travail et ça c’était très agréable. Après qu’est-ce que ça change au quotidien : pas grand chose ! Ça fait plaisir ! [rires]
Il y a eu d’autres choses qui ont davantage marqué ma carrière. Par exemple j’ai eu un financement du conseil européen de la recherche très tôt dans ma carrière, en 2011, c’est quelque chose qui a eu une véritable influence sur mon parcours. D’ailleurs, le fait d’avoir reçu des moyens financiers et temporels - parce qu’on est déchargé d’une partie de son travail d’enseignement - ça permet de se consacrer à la recherche très jeune, et ça explique qu’on puisse recevoir une médaille comme la médaille Runcorn Florensky à la quarantaine !
Quel est le projet ou la découverte qui a le plus marqué votre carrière jusqu’ici ?
Il y a eu un projet très important, sur une mission européenne qui n’est pas encore partie mais qui devrait partir un jour quand même, Exo Mars. Elle devait partir après le début de la guerre en Ukraine mais a été reportée parce qu’elle incluait notamment un partenariat avec la Russie. Pour cette mission il y avait une sélection de site d’atterrissage à faire, et avec mon équipe on a beaucoup travaillé à trouver un site qui soit à la fois nouveau, innovant et intéressant scientifiquement parlant.
On a notamment utilisé des bribes d’algorithmes pour nous aider à trouver un endroit qui serait le meilleur site d’atterrissage sur Mars, et on a trouvé un lieu qui n’était pas du tout connu, qu’on a beaucoup étudié, qui s’est révélé être très intéressant et qui a été sélectionné pour être le site final d'atterrissage de la mission ! ça j’en suis très fière. C’est une idée qui est née ici, à la Doua et aujourd’hui des tonnes de gens en Europe travaillent sur cet endroit.
Comment s’appelle ce site ?
Oxia planum, parce que c’est très plat, ce qui était un des critères à respecter.
Si on vous donnait une minute pour convaincre un citoyen lambda de l'importance de l'exploration spatiale, que lui diriez-vous ?
Que c’est grâce à l’exploration spatiale qu’on a aujourd’hui des téléphones portables, de la géolocalisation, des mini caméras, en fait toute la technologie actuelle. Parce que c’est tellement compliqué de faire fonctionner un appareil dans l’espace qu’on est obligé d’être extrêmement innovants. La recherche spatiale a un impact direct sur notre quotidien.
La science est parfois perçue comme un domaine réservé : quel message voudriez-vous faire passer aux jeunes (et notamment aux jeunes femmes) qui hésitent à se lancer dans les filières scientifiques ?
Je suis attristée de voir que les carrières scientifiques sont boudées par les filles ; moi-même je ne me voyais pas du tout scientifique avant de le devenir, je pensais que ce n’était pas pour moi, il y a un certain nombre de blocages très genrés dans l’orientation. Mais même si le spatial est un milieu encore très masculin les choses commencent un peu à changer. En tout cas j’ai conscience que c’est plus facile pour moi que pour la génération de chercheuses précédente et j’espère que ce sera plus facile encore pour la génération suivante… Ce qui m’inquiète c’est que depuis la réforme du bac, on a divisé par quatre le nombre de filles qui s’orientaient vers des spécialités scientifiques. On a reculé d’un coup et ça, ça m’inquiète beaucoup.
Pour que ça change, il y a plein de choses à faire, entre autre moi je crois au role model : il faut que nous, femmes scientifiques, sortions plus souvent dans les médias pour montrer qu’il y a aussi des femmes qui font de la science, qu’on peut être chercheuse et mère de famille et faire plein de choses, par exemple. J’ai moi-même deux enfants, un mari, je fais du sport, du piano, j’ai une vie tout à fait normale. Un chercheur ce n’est pas qu’un vieux monsieur avec des lunettes qui a passé sa vie enfermé dans un bureau ou un laboratoire.
Quand avez-vous pris vous-même conscience de ça ?
J’ai mis du temps et d’ailleurs c’est un message aussi pour les jeunes qui se cherchent : moi à la sortie du bac je n’ai rien fait du tout, j’ai perdu une année tranquillement parce que je ne me voyais ni faire d’étude ni faire quoi que ce soit d’ailleurs [rires]. Au grand désespoir de mes parents d’ailleurs : j’aimais la montagne, je vivais en refuge, je ne voulais plus redescendre ! Bon j’aimais déjà l’exploration mais ça s’arrêtait là.
Et puis j’ai commencé des études en géographie. Et puis c’est petit à petit, en m’ennuyant dans mes études de géographie, que j’ai commencé la géologie. J’ai beaucoup aimé le côté rigoureux des sciences, j’ai décroché deux diplômes en géographie et en sciences de la terre, et j’ai choisi les sciences de la terre pour faire une thèse. Je suis partie en post-doc aux Etats-Unis en 2005, au laboratoire de planétologie de Washington - où il y a LA capsule Appollo, la vraie qui a ramené les astronautes ! Et donc c’est en thèse que j’ai commencé à m’intéresser à la planétologie puisque ma thèse portait sur les glissements de terrain sur Mars !
Vous aimeriez aller sur Mars ?
Eh bien pas du tout ! C’est marrant mais dans un sens, virutellement j’y suis tous les jours, grâce aux visualisateurs, chaque jour je vais guetter où est le rover. Je n’ai ni envie de coloniser mars ni envie de me lancer dans un voyage aussi incertain ! Et puis Mars est un grand désert, il n'y a pas de végétation : c’est bien pour faire de la géologie mais c’est très très inhospitalier.
Non, j’aime trop notre planète et il faut vraiment prendre soin de notre planète, parce qu’il n’y a pas de plan B !