Portrait : Antoine Perez, 99 ans de souvenirs villeurbannais

Né en 1926 à Villeurbanne, Antoine Perez n’a jamais quitté sa ville natale. A 99 ans, il se souvient du Villeurbanne des champs, des usines et de la guerre. Dans sa maison de la rue Séverine, il raconte une vie à observer les transformations de sa ville de toujours.
Antoine Perez, 99 ans de souvenirs villeurbannais

« Je suis né à l’angle de la rue Faillebin et de la rue du 4-Août, le 2 juillet 1926. Je suis toujours resté à Villeurbanne depuis ». Né d’un père qui travaillait pour Gaz de France et d’une mère couturière, tous les deux immigrés espagnols, Antoine Pérez a vécu 99 ans à Villeurbanne.

Entre l’enfance, les études, la Guerre, la vie professionnelle puis la retraite, jamais il n’a souhaité vivre autre part. Dans sa maison construite de ses mains rue Séverine, Antoine nous raconte le Villeurbanne qu’il a connu et celui qu’il est devenu. 

Une enfance dans les champs de Villeurbanne

Antoine Perez a grandi dans une maison sans électricité ni eau courante, uniquement chauffée au charbon. « C’était pas luxueux, mais c’était bien », dit-il, en évoquant l’époque où il vivait avec ses parents, son frère et ses deux sœurs dont il était l'aîné.

Villeurbanne ressemblait alors à une campagne. « Entre Cusset et les Gratte-Ciel, il n’y avait que des champs », se souvient-il, évoquant aussi les chèvres dans les prés des Buers. Quand il était enfant, Villeurbanne c’était les baignades dans le canal, le foot dans la rue, les gens qui descendaient sur la chaussée avec leurs chaises pour « tailler la bavette », mais aussi parfois quelques bêtises : « On avait peu d’activités organisées par la ville à cette époque. On s’amusait comme on pouvait. Parfois, on attrapait les rats de la tannerie rue Francis-de-Pressensé, et on les mettait sur le palier des voisines qui nous traitaient de voyous », lance-t-il en riant.

Mais, ce qu’il préférait à l’époque, c’étaient les cinémas qui peuplaient la ville. « On allait voir Laurel et Hardy ou Gary Cooper. J’allais surtout au cinéma des Iris, là où on trouve le théâtre aujourd’hui, et à l’Impérial, rue du 1er-Mars ». Il se souvient qu’il payait ses places après avoir gagné quelques centimes en donnant à boire aux chèvres qui paissaient Buers. « Et à la sortie, j’allais parfois acheter une boîte de gâteaux cassés à 50 centimes », sourit-il.

La Guerre : la fin de l’insouciance

Cependant, cette insouciance se termine brutalement à l’approche des années 40. Alors élève au lycée de la Martinière, une école nationale professionnelle, « j’avais tellement de cours que je ne pouvais plus m’amuser autant qu’avant », déclare-t-il. Surtout, en 1940, Antoine, âgé de 14 ans, est confronté à la guerre et ses priorités doivent changer quand commence l’Occupation par les Allemands (1940-1944). « Le plus important à ce moment, c’était de trouver de la nourriture. Je me souviens que les gens attendaient sur des chaises à partir de minuit sur la place du marché pour attendre l’ouverture à 5h du matin et être les premiers à se servir », se remémore-t-il.
 
Pour nourrir sa famille, Antoine se lançait dans de vraies expéditions, en parallèle de ses études qu’il continuait à la Martinière : « Tous les quinze jours, je partais le week-end en train jusqu’à Bourg, puis je prenais le vélo jusqu’à Louhans pour faire le tour des fermes et rapporter de quoi manger à ma famille ». 120 kilomètres à l’aller, autant au retour qu’il faisait de nuit pour éviter les gendarmes qui « confisquaient la nourriture en prétextant qu’on cherchait à la revendre, mais eux ils voulaient juste nous la prendre pour la manger », confie-t-il. 

Les bombardements, les rafles, les morts à déplacer… La Guerre a changé Villeurbanne et ses habitants. Après 1945, la ville doit se reconstruire et panser ses plaies. « C’est à partir de cette période que le paysage de Villeurbanne s'est transformé », remarque-t-il à 18 ans. 

Une ville qui change, des Gratte-Ciel qui poussent

A la fin de la Guerre, en 1945, Antoine a 18 ans et travaille dans une usine de balances avant de devenir, quelques mois plus tard, dessinateur industriel pour les usines de moteurs d’avions Sigma, nouvellement installées à Villeurbanne. Ayant travaillé pour d’autres entreprises au cours de sa carrière de dessinateur industriel, il prend sa retraite en 1986, à 60 ans, dans le bureau d’études qu’il a fondé en 1961.

Pendant ce temps, la ville a changé. Elle avait déjà entamé sa transformation quand il était enfant avec la pousse des Gratte-Ciel au milieu des champs en 1934, un vrai événement : « J’avais 8 ans à ce moment. Avec mes copains, on faisait des tours d’ascenseur dans les Gratte-Ciel et les concierges nous couraient après ». 

Mais la réelle transformation se fait plus tard. « Tout commence à se construire dans les années 50-70 », raconte Antoine : les champs ont laissé place aux immeubles, les épiceries aux supermarchés, remarque-t-il. Villeurbanne était encore peuplée d’usines : les chaussures Bally-Camsat, les fonderies Roux, les usines Gillet… « Il y avait des marées de vélos aux heures de pointe avant le déménagement des usines qui ont laissé place aux habitations », raconte-t-il. Quand les usines déménagent, entre 1963 et 1974, la ville commence à ressembler à celle que nous connaissons aujourd’hui, et de moins en moins à celle où Antoine a grandi, autant dans son apparence que dans son art de vivre.

À bientôt 100 ans, Antoine Perez a le sentiment de vivre dans un monde différent de celui de sa jeunesse : « On a beaucoup plus de confort et c’est bien, mais c’est dommage d’avoir le sentiment que ce n’est pas apprécié correctement et que le monde devient plus individualiste ». Aujourd’hui, il espère que raconter son passé aidera à regarder notre présent avec un peu plus de recul.

 

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