Les précepteurs de jeunesse

On les appelait "régents d'écoles", "précepteurs de jeunesse" ou tout simplement "instituteurs". Ils ont été au 18e siècle, les premiers à ouvrir des classes à Villeurbanne.
Classe d'une école primaire dans le haut Jura

Classe d'une école primaire dans le haut Jura

Les jours de foire ou de marché, on ne pouvait pas les manquer. Ils détonnaient sur la foule des clients et des marchands, par leur drôle de chapeau orné de plumes signalant leur métier : une pour indiquer qu’ils enseignaient à lire ; deux s’ils apprenaient aussi à écrire. Ils allaient ainsi de village en village, proposer leurs services à qui les voulait bien. On les voyait arriver aux premiers temps de l’automne, lorsque les travaux des champs se terminaient et que les paysans n’ayant plus besoin de leurs progénitures, acceptaient de les envoyer à l’école. Bon nombre de ces précepteurs de jeunesse venaient des montagnes du Dauphiné, du Queyras et du Briançonnais notamment, où le protestantisme impliquait de savoir lire la Bible, tandis que les terres du Bas-Dauphiné, catholiques, demeuraient pour leur part largement illettrées. Ces migrants aux chapeaux à plumes restaient à Villeurbanne le temps de la morte-saison, puis remontaient chez eux au début du printemps, pour s’occuper de leurs récoltes et de leurs bêtes - comme Chaffrey Morel, « natif de la commune de Ville-Vielle canton d’Aiguilles, département des Hautes-Alpes », présent à Villeurbanne en septembre 1822. Voisinage de Lyon aidant, les Villeurbannais recrutaient aussi leurs maîtres d’école entre Rhône et Saône, comme le sieur Claude Cazot, venu en 1773 de la Croix-Rousse, où son père était jardinier. On a bien du mal à suivre ces maîtres à travers les archives ; comme tous les migrants d’antan, ils ne laissent qu’une trace fugitive dans les vieux papiers, et en débusquer un tient presque du miracle. Une chose est sûre, au début du 18e siècle ils ne fréquentaient guère notre commune. Pour la plupart de ses habitants, savoir lire et écrire s’apparentait à un luxe inutile. Les muscles pour travailler les champs comptaient plus qu’une cervelle pleine de chiffres et de lettres ! Résultat, entre 1710 et 1720, seuls 8 % des Villeurbannais s’avèrent capables de signer leur acte de mariage, et 92 % sont analphabètes... Les choses changent dans la seconde moitié du siècle des Lumières. Les Français se prennent de passion pour les arts, la littérature, les sciences et la connaissance en général, tandis que le développement économique du pays rend nécessaire l’instruction du plus grand nombre. A Villeurbanne, où le commerce avec Lyon se développe fortement, l’illettrisme devient un handicap. On réclame alors à corps et à cris des précepteurs de jeunesse. Claude Cazot, le fils du jardinier de La Croix-Rousse, est rejoint en 1780 par maître Jean Peyrard et par Jean-Claude Burrel, puis par Philibert Gervais en 1798 et encore par Etienne Chermette et Jean-Marie Juge en 1808 et 1809. Certaines années, notamment en 1780 et 1781, on compte jusqu’à trois enseignants présents en même temps au village. Peyrard et Burrel ne font que de brefs passages, mais leurs collègues s’implantent plus durablement et fondent des écoles dignes de ce nom. La classe se tient pratiquement toujours dans une pièce de la maison du maître, où les gosses s’entassent jusqu’à 30 ou 40 à la fois. Claude Cazot, lui, qui fut instituteur de 1773 jusqu’à sa mort en 1827, officie dans une dépendance du presbytère, juste à côté de l’église de Cusset. La première année, Cazot et ses confrères enseignent les lettres de l’alphabet puis la lecture à leurs élèves. Plus difficile à acquérir, surtout pour des doigts de petits campagnards plus habitués à manier le manche d’une bêche qu’une plume à gratter le papier, l’art de l’écriture ne vient que la deuxième année. Enfin, lorsque les enfants ont la chance de pouvoir venir une troisième année de suite sur les bancs de l’école, le maître leur apprend le calcul et quelques rudiments de latin. Les précepteurs ne touchent aucun salaire de la commune - il faut attendre le 19e siècle pour voir celle-ci s’investir dans l’éducation. Ils gagnent leur pain en faisant payer chaque année aux parents une « taxe d’écolage », équivalente à quelques jours de salaire par enfant. Plus le maître a d’élèves, mieux il gagne sa vie. Il ne figure pas pour autant parmi les gens aisés. Ses ardoises servent souvent... pour inscrire les dettes qu’il sème chez le boulanger ou le boucher ! Pour remplir leur bourse de quelques écus supplémentaires, la plupart cumulent un second emploi. Ainsi Claude Cazot fait office de marguillier du curé ; moyennant la gratuité de son logement au presbytère, il sonne les cloches de l’église, s’occupe de son entretien, gère les biens de la paroisse et aide à préparer la messe. En 1785, maître Cazot a épargné suffisamment d’argent pour pouvoir s’acheter une petite maison dans le quartier de Cusset, signe que les précepteurs de jeunesse cessent d’être des migrants et s’enracinent à Villeurbanne. Le résultat se fait très vite sentir : entre 1780 et 1789, sur 344 époux et épouses, 111 parviennent désormais à signer leur acte de mariage, soit 32 %. Le savoir des savants s’ouvre enfin aux simples paysans.

 

LE TEMPLE DE SALOMON

En juin 1808, le sieur Etienne Chermette, « qui depuis plus de dix ans a été directeur d’un pensionnat sur le coteau de la Croix Rousse », et qui jouit d’une solide réputation, ouvre dans le quartier des Charpennes un internat pompeusement baptisé «temple de Salomon». D’un seul coup, notre commune effectue un saut qualitatif d’au moins un siècle en matière d’éducation. Cette fois, il n’est plus seulement question du b.a.-ba des précepteurs de jeunesse, mais des matières enseignées au lycée Ampère de Lyon, où Chermette a lui-même fait toutes ses études « avec honneur et distinction ». La municipalité de Villeurbanne accueille l’initiative avec enthousiasme, et les rejetons des familles aisées affluent de toute la commune, de Lyon et des villages environnants. L’institution ne survit pas à son fondateur et ferme ses portes avant 1834. Bien d’autres lui succèdent au cours du 19e et du début du 20e siècle - par dizaines ! Dans le nombre figure le pensionnat de L’Immaculée Conception, créé en 1846 par des sœurs venues de Corenc, en banlieue grenobloise, et qui accueille toujours des élèves dans ses bâtiments de la place Grandclément.

 

Repères :

- Fin du 17e siècle : Jean-Baptiste de La Salle institue l'enseignement simultané, qui remplace l'enseignement individuel donné aux élèves
- 1698 : Louis XIV rend le catéchisme et l'enseignement obligatoires pour les enfants protestants
- 1715/1774 : règne du roi Louis XV
- 1762 : Jean-Jacques Rousseau publie Emilie, ou de l'éducation
- 1774/1792 : règne du roi Louis XVI
- 1804/1815 : Napoléon 1er, empereur des Français
- 1833 : la loi Guizot oblige chaque commune à ouvrir une école primaire
- 1878 : le maire Jean-Marie Dedieu décide de construire trois nouvelles écoles à Villeurbanne
- 1881/1882 : les lois Jules Ferry rendent l'école gratuite, laïque et obligatoire
- 1894 : construction de l'école Emile-Zola
- 1965 : ouverture du lycée Pierre-Brossolette.

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