La révolte des Canuts s'invite à Villeurbanne

Le 9 avril 1834, il y a 180 ans, éclatait la deuxième révolte des Canuts. Dès le lendemain, l’insurrection gagnait notre ville.
La révolte des Canuts s'invite à Villeurbanne

Le bruit des détonations a tenu les Villeurbannais éveillés une partie de la nuit. À Lyon, l’armée massacrait à tour de sabre et de canons, sans faire de distinction entre les insurgés et les civils cloîtrés dans leurs maisons. Les canuts, eux, élevaient des barricades et se battaient comme des lions.

« Vivre en travaillant ou mourir en combattant », telle était leur devise. Ils s’étaient déjà révoltés trois ans plus tôt, en 1831, pour protester contre les baisses de salaires que les riches marchands de soie voulaient leur imposer. Et voilà que ces diables cousus d’or recommençaient, alors qu’aucune crise économique ne le justifiait. Hors de question de les laisser faire ! Il fallait renverser ce système, et par la même occasion le roi de France si l’on pouvait ! Le sang commençait à couler.

Jeudi 10 avril 1834. Dans la Presqu’île, à Saint-Jean, à La Croix-Rousse, à La Guillotière et à Vaise, partout les combats font rage. Ils se propagent à la vitesse d’un cheval au galop et gagnent la banlieue. Dès le matin, « une bande composée d’ouvriers de La Guillotière, au nombre de 60 à 80, armés de fusils et de fourches, entoure la caserne de la gendarmerie de Villeurbanne, y pénètre de force et désarme les 4 ou 5 gendarmes qui l’occupaient ». Les révoltés n’ont pas de chef mais vont vite en trouver un en la personne de Guillaume Auzard, un serrurier des Maisons-Neuves.

Auzard connaît bien la caserne et son point faible, une porte non gardée ; il commence par guider les canuts puis dirige l’assaut. Une fois les gendarmes capturés et toutes les armes pillées, la bande attaque la mairie : « Les insurgés pénètrent avec violence dans le domicile du maire pour y chercher des armes ; le secrétaire de la mairie est insulté et blessé d’un coup de baïonnette ». Puis ils se rendent maîtres de Villeurbanne, d’autant plus facilement qu’une partie de la population a rejoint leurs rangs. Un grand nombre de maisons sont « visitées », toujours pour en prendre les armes, et les hommes en âge de se battre recrutés manu militari, quitte à les menacer d’un coup de pistolet pour les forcer à défendre les barricades. Pendant ce temps un artisan villeurbannais, Joseph Laval, prend la tête d’une soixantaine d’ouvriers et se rend à Meyzieu pour appeler les habitants « à marcher au secours des ouvriers de Lyon ». Aux Charpennes, une trentaine d’hommes tirent contre les forts ceinturant les Brotteaux et essuient des coups de canons en guise de réponse. La révolte gagne en ampleur : à Bron, à Vénissieux, à Vienne, à Saint-Étienne et même à Paris, les ouvriers révoltés tentent de transformer leur mouvement en révolution, pour détrôner le roi Louis-Philippe et instaurer la république.

Les Canuts tiennent Villeurbanne pendant quatre jours, jusqu’à ce que les troupes royales reprennent Lyon rue par rue, en semant le feu et la mort sur leur passage. Le mardi 15 avril les ouvriers qui n’ont pas été faits prisonniers s’enfuient, la révolte est finie. Après avoir maté Lyon, les troupes royales s’en prennent à notre ville : dans la nuit du 10 au 11 mai 1834, plus de 200 soldats encerclent Cusset et Les Charpennes ; à2 heures, la souricière se referme sur les Villeurbannais. Toutes les maisons sont fouillées, « sauf celles isolées du côté de La Guillotière et de Vaulx », à la recherche des armes volées, des personnes soupçonnées d’avoir participé au soulèvement, et des preuves de leur culpabilité. Une soixantaine de fusils est saisie et 13 personnes arrêtées : Savigny, « qui a pris une part active à l’insurrection » ; le cordonnier Neuville, « prévenu d’avoir excité les insurgés à fusiller les soldats restés à la caserne » ; Nicolas Barbier, « soldat prévenu d’avoir été avec les insurgés chercher des armes » ; Maugé, « tambour de la garde nationale, ayant battu la générale dans la commune pour faire rassembler et grossir le nombre des insurgés » ; Gandit, « prévenu d’avoir été à Dessine avec les insurgés pour désarmer les gardes nationaux », sans oublier un étranger sans papiers et en séjour irrégulier… L’armée leva le siège de Villeurbanne à 15 heures. Elle transféra les prisonniers à Lyon, dans des cachots surpeuplés où ils restèrent sans soins et sans nourriture. La plupart furent relâchés après quelques semaines de détention, sauf Guillaume Auzard et Joseph Laval que l’on envoya à Grenoble puis à Paris, où ils furent jugés au printemps 1835 par la Chambre des pairs, l’équivalent de la Cour de Sûreté de l’État. Après un an et demi de prison, ils retournèrent chez eux anéantis et complètement ruinés. Quant au maire de Villeurbanne, Jean-Baptiste Pierre, bien que n’ayant pas participé à la révolte, il fut destitué par le gouvernement en février 1835 à cause de ses idées républicaines, et remplacé par un royaliste patenté.

 

Sources : Archives de l’Isère, 3 U 1/1609. Archives du Rhône, 4 M 212 et 213. Archives de Villeurbanne (Le Rize), 1 F 1. Procès des accusés d’avril. Paris, Maurier, 1835, t. 1 et 2. Cour des Pairs. Affaire du mois d’avril 1834. Réquisitoires. Paris, Imprimerie Royale, 1836. Relation complète des événements qui se sont tenus à Lyon [en] 1834. Lyon, Boursy, 1834. Journal Le Censeur, mars-décembre 1834. Illustrations BNF

 

Les canuts villeurbannais

Depuis la Renaissance, les canuts lyonnais tissent les fils de soie et font la richesse de notre grande voisine, au point qu’au début du XIXe siècle plus de 40 000 métiers à tisser s’activent entre Rhône et Saône. Lyon n’a pas pour autant le monopole de la soierie ; à partir du XVIIe siècle les Villeurbannaises apprennent à élever les vers à soie, tandis que leurs maris plantent un peu partout des mûriers, ces arbres dont les feuilles nourrissent les vers. Quelques générations plus tard, au XVIIIe siècle, les premiers canuts apparaissent à Villeurbanne puis deviennent de plus en plus nombreux : le recensement de 1829 n’en dénombre pas moins de 429, hommes, femmes et enfants au-dessus de 12 ans confondus, qui travaillent pour la plupart dans des manufactures des Maisons-Neuves et dans les ateliers des Charpennes. Détenteurs d’un grand savoir technique et nettement plus instruits que la moyenne des Français, les canuts villeurbannais sont comme leurs collègues lyonnais, partisans de la justice sociale, de la république et des Droits de l’Homme. En mars 1834, la police royaliste les soupçonne de préparer un complot dans le quartier Grandclément. Un mois plus tard la deuxième révolte des Canuts éclatait effectivement.

 

Alain Belmont, historien

 

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