Micheline Fabry > Quand la lingerie se faisait Obsession

L’usine Obsession, avenue Galline, a été démolie en novembre 2011. Micheline Fabry y a travaillé près de vingt ans. Souvenirs.
Micheline Fabry > Quand la lingerie se faisait Obsession

« J’ai travaillé dès l’âge de 14 ans, après mon certificat d’études, dans une maison de lingerie, rue Hippolyte-Kahn. C’était en 1959, j’étais "petites mains", j’aidais les plus anciennes, c’est là que j’ai appris à couper. J’ai ensuite travaillé pour trois maisons différentes avant d’entrer chez Obsession(1), c’était en 1967. J’ai répondu à une annonce sur le journal, à l’époque on trouvait du travail facilement. J’étais coupeuse-traceuse et Obsession faisait le soutien-gorge, la gaine, la guêpière et le maillot de bain. Tout était fabriqué dans l’atelier, de bons produits qui se vendaient dans toutes les petites boutiques.

Les ateliers de montage étaient au premier étage et l’atelier de coupe, où j’étais, se trouvait au rez-de-chaussée. On entrait par l’avenue Galline. Nous étions plus de 150 personnes. Je faisais partie des plus jeunes, j’avais 20 ans.

Jeune, j’ai travaillé beaucoup, parfois jusqu’à 11 heures par jour. Notre ­salaire nous était versé en espèces dans une enveloppe, tous les quinze jours. Jusqu’en 1968, je vivais avec ma mère et je lui ­donnais tout mon salaire. Maman était seule et j’étais fière de lui amener mon enveloppe. Elle me donnait un peu d’argent de poche, en mettant de l’argent de côté pour moi.

En mai 68, quand ont commencé les grèves, M. Bourvis, le patron, ne voulait pas qu’on arrête le travail. Ce sont les ouvriers de la maison Bayard qui nous ont fait sortir. Ils sont entrés dans les ateliers, sont montés sur les tables pour nous dire d’arrêter le travail. Ils nous ont poussés dehors. Ça m’a marquée. La grève a duré un mois. Je venais tout juste de me marier, on n’avait pas un sou.

Avec les années, je suis passée contremaîtresse, responsable du ­service coupe. Je suis restée chez Obsession jusqu’à la fermeture, en 1975(2). M. Bourvis, nous a toutes réunies un jour dans l’atelier pour nous annoncer que c’était fini. On le sentait un peu venir, le travail ralentissait, on entendait des rumeurs. C’était un moment dur. Je perdais mon travail. Même si, à l’époque, je pensais en retrouver rapidement. Mais je suis restée un an au chômage. Puis, j’ai retrouvé une place de chef de service à la maison Janssen qui a fermé également en 1993.

C’était un bon métier, maintenant c’est un métier qui est perdu.

Il m’arrive encore maintenant de rêver que je suis dans l’atelier d’Obsession, je ne fabrique pas les mêmes choses, mais je suis dans cet atelier coupe, c’est quand même fou, non ? »

 

(1) Gaines Obsession – Établissements Gilmo, fondés en 1948 à Villeurbanne.

(2) Les Etablissements Gilmo, qui avaient deux autres usines à Cuisery et Crémieu, ont été mis en liquidation le 10 octobre 1975. Refusant la fermeture, une partie du personnel a occupé l’usine ­pendant 31 mois pour demander la reprise de l’activité et le maintien de l’emploi. Lors de sa séance du 25 avril 1977, le conseil municipal de Villeurbanne a adressé un vœu au préfet du Rhône pour que soient étudiées « les possibilités de relance de la fabrication et du maintien de l’emploi ». La Ville avait également soutenu les ouvrières en difficulté dans le cadre du Fonds municipal d’aide en débloquant la somme de 59 000 francs.

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