Villeurbanne, au cœur des Brigades internationales

De 1936 à 1938, Villeurbanne joua un rôle fondamental dans le recrutement des volontaires allant défendre la République espagnole contre les armées de Franco.
Villeurbanne, au cœur des Brigades internationales

Il s’appelle Marcel. Marcel Cavalin. Alors que la France goûte aux plaisirs des toutes premières vacances que le Front Populaire vient d’accorder aux salariés, lui se prépare à partir à la guerre. Il n’a pourtant pas 20 ans et n’a jamais connu d’autres horizons que son quartier des Buers et la banlieue de Lyon, mais il est prêt à risquer sa vie pour défendre ses idéaux : le bonheur pour tous et la démocratie. Des valeurs qui en Espagne, menacent de sombrer. Le gouvernement républicain du Frente Popular fait face à une rébellion armée menée par le général Franco avec l’appui de Hitler et de Mussolini, et dès juillet 1936 le pays se retrouve coupé en deux, livré aux massacres et aux bombardements. Les démocraties occidentales se gardent bien d’intervenir dans cette guerre civile, craignant d’être entraînées dans un conflit qui risquerait de s’étendre à d’autres pays, comme en 1914.

 

No pasaran !

Partout dans le monde, des voix s’élèvent en faveur de l’Espagne. De l’autre côté des Pyrénées, c’est le peuple et la Liberté qu’on assassine ! Si le fascisme triomphe là-bas, à quel pays s’attaquera-t-il demain ? Aragon, Malraux, Hemingway et d’autres encore, appellent les volontaires à voler au secours des Républicains. À Villeurbanne, une centaine d’ouvriers espagnols partent immédiatement défendre leur pays, en juillet-août 36, laissant parfois femme et enfants aux soins de leurs voisins. Des associations collectent à la sortie des usines et pendant des meetings l’argent nécessaire au voyage, tandis qu’ils reçoivent « notamment à la mairie de Villeurbanne », des sauf-conduits pour traverser la France et franchir la frontière. À partir d’octobre 36, aux initiatives individuelles succède une organisation chargée du recrutement et de l’encadrement des volontaires : les Brigades internationales. L’un des principaux centres de recrutement de ces Brigades se trouve dans notre ville. Animé par le Parti Communiste, le Comité Antifasciste, la Mutuelle España et par plusieurs élus municipaux – dont le maire-adjoint Gervais Bussière, le centre villeurbannais multiplie les réunions publiques au Palais du Travail pour informer la population des événements en Espagne et susciter les engagements. Au cours de la seule journée du 4 décembre 1936, cent dix personnes venues de tout le sud-est de la France et même de Suisse, s’enrôlent dans les Brigades et partent dès le lendemain via la gare de Perrache, par petits groupes afin de ne pas attirer l’attention de la police. Tous n’ont pas la foi chevillée au corps, surtout en ces temps de crise économique ; comme le constate un rapport officiel, beaucoup sont « de pauvres diables paraissant surtout rechercher les moyens de manger à leur faim mais n’ayant pas du tout le feu sacré ». Entre juillet 1936 et janvier 1937, près de 1 600 volontaires partent ainsi de la région lyonnaise « dont 632 Français et 932 étrangers », principalement recrutés à Villeurbanne. Des chiffres à comparer aux 40 000 Brigadistes de tous pays confondus, qui combattirent durant la totalité de la Guerre civile espagnole.

 

Novembre 1936

Après quelques jours de voyage Marcel Cavalin arrive à Albacete, une capitale régionale du sud-est de l’Espagne où a été fixé le Quartier général des Brigades Internationales. Comme la ville ne peut accueillir les flots de volontaires que les trains déversent chaque semaine, il est dirigé vers le petit bourg de Mahora, où il intègre le bataillon « André Marty » de la XIIe Brigade. Avec ses compagnons d’armes allemands, belges et polonais, il suit quelques semaines de formation militaire puis est expédié sur les champs de bataille. Il reçoit son baptême du feu à Madrid puis se bat à La Coruña, El Jarama ou encore Guadalajara, où il est blessé par un éclat d’obus. Le renfort des Brigadistes tels que Cavalin permet à l’armée républicaine espagnole quelques belles victoires mais n’infléchit pas le cours de la guerre. Leur origine hétéroclite n’en faisait pas pour autant des soldats d’élite. Témoin des combats, Ernest Hemingway dresse dans Pour qui sonne le glas un portrait sévère mais lucide de « cette bande d’ivrognes, de clochards, de vagabonds, de fanatiques et de héros qui composent la Quatorzième Brigade ». La XIVe Brigade, encore une qui comptait nombre de recrues passées par Villeurbanne…

 

Fin 1938

La situation des Républicains espagnols devient désespérée. Ils ne tiennent plus que les secteurs de Valence et de Barcelone. Partout ailleurs, les troupes franquistes ont été victorieuses. Les Brigadistes reviennent peu à peu chez eux, la mort dans l’âme. Le 3 décembre, le maire de Villeurbanne Camille Joly rassemble plus de 400 personnes au Palais du Travail, en présence de l’ancien ministre Justin Godart et de la journaliste Simone Téry, qui a suivi la guerre pour le compte de l’Humanité. On en appelle à la Société des Nations (l’ancêtre de l’ONU) pour la cessation des combats, et au retrait des troupes de Hitler et de Mussolini, « constatant que la guerre d’Espagne est un danger permanent pour l’Europe ». Un appel ô combien clairvoyant, hélas lancé en pure perte.

Sources : Archives departementales du Rhône, 4 M 303. Documents du CEDOBI (Centro de Estudios y de Documentación de las Brigadas Internacionales), à Albacete.

 

De Villeurbanne à Mahora

Mahora. Ce gros village de la Mancha ne se découvre qu’au dernier moment, au creux d’un plateau écrasé sous le soleil en été et glacial en hiver. Son clocher pointe le premier au bout de la route, puis apparaît la masse de ses maisons blanches.

C’est ici, à 30 km d’Albacete, que le QG des Brigades Internationales installa en 1936 un poste de commandement, un camp de formation des troupes, un hôpital militaire et un « centre de correction » pour les déserteurs. Là aussi, qu’ont été constituées les XIIe et XIVe Brigades dans lesquelles furent regroupées la plupart des recrues passées par Villeurbanne. Née en 1928, Aurora se souvient très bien de leur arrivée. Elle n’était pourtant qu’une fillette de 8 ans mais revoit comme si la scène datait d’hier, tous ces hommes défilant dans la rue en chantant l’Internationale. À leur simple évocation, ses yeux s’animent, un sourire aux lèvres elle raconte ces « Internationaux » qui lui offraient des oranges. Pendant des mois, sa mère soigna les blessés qui revenaient du front. Après la victoire franquiste, la mère d’Aurora fut condamnée à de longues années de prison. L’essentiel de sa famille s’exila en France, où ses descendants vivent encore. Vous les avez sans doute déjà croisés dans les rues de Villeurbanne.

 

Repères

1935 : le communiste Camille Joly est élu maire de Villeurbanne

Février 1936 : victoire du Frente Popular aux élections législatives espagnoles

18 juillet 1936 : début de la guerre d’Espagne

Été 1936 : les gouvernements français et britannique décident de ne pas intervenir en Espagne

22 octobre 1936 : naissance des Brigades Internationales

Novembre 1936 : circulaire du ministre de l’Intérieur visant à empêcher le recrutement des Brigades internationales en France

26 avril 1937 : bombardement de Guernica

Septembre 1938 : dissolution des Brigades internationales

Mars 1939 : chute de Madrid, victoire de Franco

Avril 1939 : fin de la guerre d’Espagne

1939 : « la Retirada ». Plus de 400 000 Espagnols se réfugient en France

1996 : le président J. Chirac accorde le statut d’Anciens combattants aux survivants des Brigades internationales

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