L'HISTOIRE - L’hippodrome du Grand Camp

Sur le boulevard du 11-novembre-1918, en bordure du campus de la Doua, deux hauts piliers de pierre forment les derniers vestiges d’un champ de courses qui fut en son temps l’un des plus beaux de France.
L’hippodrome  du Grand Camp

Les courses de chevaux ont toujours passionné les hommes, peut-être dès la domestication de leur "plus noble conquête", il y a 4 500 ans. Mais pendant longtemps nos ancêtres se contentèrent d’un bout de champ ou d’un tronçon de route pour faire courir les étalons racés ou les percherons de village. Jugez plutôt : en mai 1838, c’est sur la route de Vienne, à Saint-Fons, que s’affrontent « Biche, jument de race anglaise montée par M. Desmarets, et Mascara, cheval entier de race algérienne, appartenant à M. de Quinsonas ». Les bêtes galopent devant une foule de spectateurs ravis, même si un cheval « s’est emporté dans les terres labourées et a failli causer quelque désordre dans cette fête » ! À Lyon même, les concours hippiques ont lieu près de la gare de Perrache et au milieu des immeubles !

Photographie aérienne du Grand Camp.

À mesure que le XIXe siècle s’écoule, les courses se multiplient et attirent de plus en plus de monde. Dans le même temps, elles se professionnalisent et engagent des pur-sang valant des fortunes, sur lesquels le public parie des sommes folles. Désormais l’improvisation n’est plus de mise. Les riches propriétaires de pouliches et d’étalons, regroupés au sein de la Société des courses de Lyon, réclament un équipement digne de la deuxième ville de France. Sauf que notre grande voisine ne dispose pas d’espaces suffisamment vastes pour accueillir un champ de course moderne. C’est donc vers Villeurbanne qu’en 1864 le maire de Lyon se tourne, pour réclamer la vente « d’une parcelle de terrain communal située au Grand Camp, nécessaire pour la formation d’un hyppodrome ». La cession du terrain a lieu en 1865 et les travaux commencent dans la foulée. À force de pelles et de pioches, une armée d’ouvriers canuts au chômage crée deux pistes ovales de 1 800 et de 2 800 mètres, l’une destinée au galop et l’autre aux courses d’obstacles. Côté sud, face au parc de la Tête d’Or, on aménage aussi des tribunes en bois pouvant accueillir 4 500 personnes, un pavillon pour le pesage des chevaux et de leurs cavaliers, et enfin une série de tentes pour abriter les « gentlemen riders » (les jockeys), le buffet, les bureaux et le matériel.

L’inauguration du nouvel hippodrome a lieu le 9 juin 1867. Toute la jetset de la région se rue à Villeurbanne pour assister à l’événement. « Ce n’était que flots de dentelles, soies, dorures, bijoux et attelages superbes. Des cavaliers fringants escortaient les voitures de ces dames, en caracolant fièrement sur leurs coursiers. De chaque côté du pavillon d’honneur, d’élégantes et vastes tribunes confortablement construites et très bien distribuées, se remplissaient rapidement de ce que Lyon compte d’élégance aristocratique. Mais bientôt les tribunes se sont trouvées trop petites, nos belles Lyonnaises ont été réduites à former devant la piste un adorable parterre de fleurs animées. Toutes ces dames préparaient crânement leurs paris. On se serait cru à Longchamp » (journal Le Réveil, 18 juin 1867). Derrière ce beau monde, des employés et quelques ouvriers sont venus en curieux, attirés par l’ambiance si particulière du lieu et par ce déballage de luxe et de mondanités. Ils espèrent aussi apercevoir Napoléon III dont on attend l’arrivée, mais l’empereur se fait représenter au dernier moment par un de ses anciens ministres, Achille Fould.

Gravure de 1867 représentant l’hippodrome, le jour de son inauguration.

S’ensuivent presque cent ans de gloire, durant lesquels notre hippodrome devient le rendez-vous mondain des Lyonnais, en même temps que le temple des turfistes en quête de chance et de fortune. Les jours de courses, bureaux et commerces ferment leurs portes avant l’heure pour que les employés puissent filer jouer une partie de leur paye. Sa popularité est devenue telle qu’en 1903 les vieux gradins en bois cèdent la place à des tribunes en dur et nettement plus vastes. La presse multiplie les clichés sur papier glacé et les colonnes étroites pour transcrire le parfum Belle Époque qui fleurit autour des pelouses villeurbannaises : « Rien n’est plus excitant [que] le Grand Camp, avec ses centaures emportés dans une ronde sonore, la musique cadencée des galops dans le vent, l’hymne des toilettes claires, le grand frémissement d’une foule extasiée ». Puis les courses terminées, chacun s’en retourne chez lui en formant un défilé digne d’un concours d’élégance, qui prolonge la fête pour quelques heures encore.

Le 8 mai 1958, c’est au Grand Camp que se court le Grand prix organisé à l’occasion du bimillénaire de la ville de Lyon. Mais quelques mois plus tard le ministre de l’Éducation nationale prend une décision qui fait l’effet d’une bombe : il vient d’acheter le terrain de l’hippodrome afin d’étendre le futur campus de la Doua. La dernière course a lieu en 1964. L’année suivante, chevaux et entraîneurs, jockeys et parieurs déménagent pour Bron-Parilly. Le « merveilleux hippodrome du Grand Camp » est démoli, à l’exception des deux piliers de son ancienne entrée, gardés en souvenir de ce haut lieu de loisirs et de plaisirs.

Repères :

VIe siècle avant JC : construction à Rome du Circus Maximus, écrin des courses de chevaux et de chars
1776 : construction du premier hippodrome de Paris, près du bois de Boulogne
1835 : naissance des courses de trot attelé en France
1903 : construction de grandes tribunes en béton au Grand Camp
1840 : aménagement du premier hippodrome de Lyon, près de la gare de Perrache
1856 : ouverture du parc de la Tête d’Or
1914-1918 : l’hippodrome du Grand Camp, réquisitionné par l’armée, est transformé en dépôt de matériel
1920 : reprise des courses au Grand Camp
1930 : création du Pari mutuel urbain (PMU)
1957 : création du campus de la Doua
1964-65 : démolition de l’hippodrome du Grand Camp
1974 : l’École nationale supérieure des bibliothèques (ENSB) est transférée sur le site de l’ancien hippodrome.

Les hippodromes de Bonneterre et de Cusset

Le Grand Camp ne fut pas le seul hippodrome de Villeurbanne. En 1886, la Société hippique du Rhône créa en contrebas de la place Grandclément, dans la plaine de Bonneterre, une piste destinée aux courses de trot et de galop. Elle eut très vite son heure de gloire, comme en avril 1888 lorsque furent disputés le Prix du président de la République, le Prix du Riding club et… le Prix de Villeurbanne, le tout devant des tribunes bondées. Hélas, cet hippodrome n’eut qu’une existence éphémère puisque dès 1893, il fut victime d’une guerre entre sociétés de courses et d’une baisse de subventions qui le forcèrent à fermer. Quelques années plus tard, ses pelouses accueillirent le plus grand cirque du monde, Barnum (en 1902), ainsi que la tournée du plus célèbre des cow-boys, Buffalo Bill (en 1905). Puis la croissance de notre ville grignota peu à peu l’ancien champ de courses. 
Quant à l’hippodrome de Cusset, situé au Carré de Soie et en limite de Villeurbanne, il fut inauguré en octobre 1900. Plus populaire que le Grand Camp, il survécut à la pression immobilière et accueille toujours les passionnés de courses hippiques.

Par Alain Belmont, historien

Sources : Archives du Rhône, 4 Msup 9, 7 M 574-575. Archives de Villeurbanne (Le Rize), 1 D 265. Bibliothèque Municipale de Lyon : journaux Le Précurseur, Le Réveil, Lyon Sport, Le Tout Lyon, L’Éclaireur, Lyon s’amuse, 1828-1914. Remerciement à Mme D. Grard pour ses informations.

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