L'HISTOIRE - Aux urnes, citoyennes !

Le droit de vote des femmes fut un long combat des 19e et 20e siècles.
Une lutte dans laquelle Villeurbanne se positionna très tôt en première ligne. Récit d’une avancée majeure de la démocratie.
©AMV/Le Rize

En 1789, la Déclaration des droits de l’Homme proclamait que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » (article 1), et plus loin, que « la Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation » (article 6). De nobles principes, qui mirent longtemps à être appliqués concrètement : ce n’est qu’en 1848 que le droit de vote fut accordé à l’ensemble des citoyens… pourvu qu’ils soient de sexe masculin. Les femmes furent purement et simplement écartées des droits les plus élémentaires de la République ! Leur cause commença à évoluer à la fin du 19e siècle, lorsque la Ligue française pour le droit des femmes, fondée en 1882, puis l’Union française pour le suffrage des femmes, fondée en 1909, réclamèrent l’égalité civique pour les deux sexes. Ces mouvements eurent très tôt un écho à Villeurbanne, puisque dès le 15 avril 1912, le conseil municipal demanda solennellement le droit de vote pour les femmes et la possibilité d’être élues, considérant que « tous ceux qui peuvent être astreints aux mêmes charges et aux mêmes devoirs doivent avoir les mêmes droits ». L’initiative villeurbannaise fut immédiatement saluée par la représentante lyonnaise de l’Union française pour le suffrage des femmes, qui remercia chaleureusement le maire Jules Grandclément pour son vote précurseur : « Si nous obtenons un jour gain de cause, nous n’oublierons pas que la municipalité actuelle de Villeurbanne a été des premières à nous aider ». Comme souvent dans son histoire, notre ville se retrouvait à l’avant-garde des combats progressistes.

Hélas, l’initiative des élus villeurbannais resta lettre morte. Tandis qu’à travers le monde les femmes obtenaient le droit de voter – en 1893 en Nouvelle-Zélande, en 1902 en Australie, en 1907 en Finlande, en 1918 en Grande-Bretagne, en Suède, en Allemagne, en Russie et en Pologne –, la France restait sourde à sa propre devise prônant l’égalité. La Première Guerre mondiale, qui vit les femmes assurer à l’arrière tous les métiers que les hommes partis au front n’étaient plus en mesure d’exercer, déclencha une prise de conscience en leur faveur. La Chambre des députés accorda le droit de vote aux femmes en 1919… mais le Sénat empêcha toute réforme des lois électorales en 1922. Les Villeurbannais remontèrent au créneau. Le 2 décembre 1922, le conseil municipal de Jules Grandclément protesta ouvertement « contre le refus par le Sénat du vote des femmes, refusant ainsi ce que les États en royauté ont accordé depuis longtemps ». Une fois de plus, ce fut peine perdue. À Paris, les députés s’entêtèrent, votant à nouveau en 1925, en 1932 puis le 1er mars 1935 des lois en faveur du vote féminin. En pure perte.

Face à ce blocage législatif, le maire Lazare Goujon prit le taureau par les cornes. Le 8 avril 1935, soit un mois après le énième vote des députés, il proposa à son conseil d’élire aux prochaines élections municipales quatre conseillères féminines, en plus de leurs collègues masculins. Ces "conseillères privées" n’auraient pas le droit de siéger au conseil municipal lui-même, puisque la loi l’interdisait, mais participeraient aux principales commissions gérant la ville et prendraient part à l’élaboration des délibérations, notamment dans tout ce qui concernerait la santé, les équipements municipaux et les finances. Ainsi fut fait. Le 12 mai 1935, les Villeurbannais votèrent une première fois pour désigner les membres du conseil municipal officiel, puis déposèrent dans la foulée leur bulletin pour élire les "conseillères privées". Trois listes féminines s’étaient présentées, une soutenue par la SFIO (l’ancêtre du PS), une par le parti communiste et une troisième liste située au centre de l’échiquier politique. Ces élections virent la défaite du maire Lazare Goujon et la victoire du communiste Camille Joly. Le scrutin féminin donna le même résultat, les Villeurbannais élisant avec près de 4 000 voix les communistes Germaine Berlioz, Yvonne Chanu, Louise Durand et Suzanne Larché-Grandclément, fille de l’ancien maire Jules Grandclément. Pour la première fois de l’histoire, les femmes entraient dans l’hôtel de ville non plus comme spectatrices, mais comme actrices de la vie politique.
L’expérience villeurbannaise fut abondamment commentée par la presse, qui lui consacra de nombreux articles. Une fois de plus, Villeurbanne se trouvait en avance sur son temps. Précisément de dix ans, puisque le 29 avril 1945 les femmes de France purent enfin voter et être élues officiellement.

Alain Belmont, historien

Sources : Archives municipales (Le Rize), 4 C 600, 1 D 274 et 275, 2 D 14.

 

Lazare Goujon, partisan du droit de vote des femmes

Le 8 avril 1935, le père des Gratte-Ciel lançait un vibrant appel en faveur des femmes. Extraits : « Aujourd’hui, la femme est devenue vraiment l’égale de l’homme dans la plupart des pays civilisés. Angleterre, Allemagne, Russie, Turquie en particulier, ont donné la preuve qu’une pareille réforme est utile à la vie sociale […]. Faut-il donc conserver la situation actuelle et nous résigner à laisser les femmes dans cette situation inférieure au point de vue politique, alors que nous avons tous les jours tant de preuves de leurs capacités, de leur intelligence et de leur dévouement ? […] Messieurs, je vous demande l’autorisation de tenter une expérience qui paraitra hardie à certains, mais qui dans tous les cas est logique, c’est la création de Conseillères Municipales privées […]. Cette tentative, organisée en dehors de tout règlement officiel, pourrait nous apporter la justification de la campagne que nous menons depuis toujours en faveur de l’égalité politique des sexes ».

Lazare Goujon, maire de la ville et député du Rhône, assis à son bureau

Lazare Goujon, maire de Villeurbanne (©Fonds Sylvestre)

 

Repères

1790 : Condorcet publie De l’admission des femmes au droit de cité, et appelle au droit de vote des femmes
1791 : Olympe de Gouges rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
1903 : Emmeline Pankhurst fonde l’Union politique et sociale des femmes, dont les membres, les "suffragettes", réclament le droit de vote des femmes
1907 : en France, les femmes mariées peuvent désormais disposer librement de leur salaire
1914 : une pétition recueille plus de 500 000 signatures en faveur du droit de vote des femmes en France
1936 : 3 femmes entrent au gouvernement du Front Populaire, en tant que sous-secrétaires d’État
21 avril 1944 : le gouvernement provisoire du général de Gaulle accorde le droit de vote et d’éligibilité aux femmes françaises
1946 : la Constitution instaure le principe d’égalité des droits des hommes et des femmes
1965 : les femmes peuvent exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari
1982 : instauration officielle du 8 mars comme journée de la Femme en France

©AMV/Le Rize

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