L'HISTOIRE - Les comices agricoles
1 septembre 2015
Ils se tenaient chaque année dans le canton de Villeurbanne, à tour de rôle à Bron, à Vaulx-en-Velin, à Vénissieux, à Saint-Fons, à Montchat et, bien sûr, dans notre ville, où siégeait le bureau en charge de leur organisation. Ces comices agricoles se déroulèrent pour la première fois à Villeurbanne le 28 septembre 1853, d’abord sous la tutelle de Lyon, puis sous la bannière villeurbannaise lorsque le canton décida de voler de ses propres ailes, le 6 septembre 1885. Ce jour-là, il y a exactement 130 ans, tout ce que Villeurbanne et ses environs comptait comme veaux, vaches, moutons, cochons, chevaux, pigeons, abeilles, coq et poulettes, sans oublier les récoltes des jardins, des vignes et des champs, le matériel agricole, les paysans et leurs valets, et même toute la palette des engrais, afflua sur la place Grandclément et déborda jusque sur le boulevard Eugène-Reguillon, tellement ce grand déballage campagnard avait du succès. Pensez donc, à la fois exposition et concours, le comice pouvait rapporter à chaque gagnant de sa catégorie plusieurs centaines de francs – l’équivalent d’un ou deux ans de salaire, pour un poireau ou pour un porcelet un peu mieux tourné que celui de vos voisins ! Les fondateurs de la manifestation l’avaient conçue dans le but d’encourager « la bonne tenue des exploitations agricoles, l’amélioration des espèces domestiques, la propagation des bons outillages agricoles, et de récompenser les bons serviteurs ruraux ». Il existait de tels comices presque partout en France, mais à Villeurbanne leur côté champêtre n’était pas dénué d’arrières pensées politiques, les maires du canton espérant par leur biais « défendre et propager les idées républicaines », à une époque où la IIIe République venait à peine de germer. Que Villeurbanne s’inscrive au cœur de ces grandes fêtes rurales n’étonnera personne. Certes, la ville était déjà hérissée de cheminées d’usines et comptait 15 000 habitants, des ouvriers pour la plupart, mais la partie orientale de son territoire, du côté des Buers, de Saint-Jean, de Cusset, de la Poudrette et des Brosses, restait vouée aux champs de blé et aux prairies.
Concours de labour lors des comices agricoles de 1939.
Jument, truies et boucs
Huit heures du matin. Les concurrents se pressent. Ils n’ont qu’une heure et demie pour installer leur bétail, leur matériel et leurs récoltes avant le passage du jury. Pendant ce temps, la ronde des voitures à chevaux ou à pétrole déverse son lot de personnalités. Aux élus locaux des premiers temps, comme Joseph Flachet, maire-adjoint de Villeurbanne, ou bien l’ancien maire Michel Gelas, ont succédé de grosses pointures de l’agglomération lyonnaise : en 1928 le jury du comice compte rien moins que le préfet du Rhône, le député-maire Lazare Goujon, le sénateur Jean Voillot et surtout le maire de Lyon Edouard Herriot, alors ministre de l’Instruction publique et président du comice agricole de Villeurbanne depuis une vingtaine d’années. À 9 h 30, cette brochette de messieurs costumés entame sa tournée. Partout ils admirent, soupèsent, goûtent, questionnent et parfois applaudissent, au milieu d’une foule de visiteurs car l’événement est très populaire. À 13 h, le jury se retire « dans les dépendances du restaurant Renault », et discourt à n’en plus finir, le président Herriot ne manquant jamais une occasion de placer un bon mot. À la sortie du restaurant, le classement officiel est communiqué au public. En 1928, les Villeurbannais ne sont guère nombreux à recevoir des distinctions car l’agriculture n’occupe plus qu’une petite place face aux usines et aux logements. Quelques décennies auparavant, il en allait tout autrement. En 1888, une médaille d’or est attribuée au Villeurbannais Lalisse, « pour le meilleur choix des cépages et la bonne tenue des vignes ». M. Dépasse, toujours de Villeurbanne, gagne pour sa part le concours des juments, tandis que son concitoyen M. Debourg se distingue dans le concours des truies. M. Mallet lui, gagne une médaille de bronze pour ses boucs, M. Barratin pour ses vins et M. Gelas pour ses collections de légumes. La prime de la meilleure servante va aussi à une Villeurbannaise, Mlle Bobillon – et ainsi de suite, sur des pages et des pages dignes d’un inventaire à la Prévert.
Arrive 16 h. Tandis que la foule arpente les allées du comice, le jury se retire à nouveau mais cette fois pour banqueter jusqu’à une heure avancée de la nuit, en compagnie de 150 à 500 convives. La journée se termine dans la joie et l’ivresse générale.
Dimanche 20 août 1939. Alors que l’Europe se prépare à l’orage, Villeurbanne entame sa 55e édition du comice agricole. Le programme s’est beaucoup enrichi depuis la création de la manifestation. On fête désormais également les plus jolis melons, les jardins maraîchers les mieux entretenus, les plus beaux jardins ouvriers, signe que le paysage de la banlieue lyonnaise a changé. La Seconde Guerre mondiale éclate deux semaines plus tard.
Le comice villeurbannais ne lui survécut pas. Il semble avoir été organisé pour la dernière fois à Vaulx-en-Velin, en octobre 1942.
Repères
1852 : Villeurbanne passe de l’Isère au département du Rhône
Vers 1852 : introduction des premières batteuses à vapeur en banlieue est de Lyon
1870 : chute de Napoléon III. Instauration de la IIIe République
1878-1888 : Jean-Marie Dedieu, maire de Villeurbanne
1885 : chute du gouvernement de Jules Ferry
Années 1900-1910 : invention des tracteurs « modernes »
1905-1957 : Edouard Herriot maire de Lyon
1924-1935 : Lazare Goujon maire de Villeurbanne
3 septembre 1939 : début de la Seconde Guerre mondiale
Le cultivateur progressiste
Le comice agricole de Villeurbanne ne réduisait pas ses activités au seul concours annuel, mais s’activait tout au long de l’année auprès des 700 adhérents de son association. Ainsi achetait-il des semences d’excellente qualité pour les distribuer gratuitement à travers le canton. Il organisait aussi des cours sur les espèces animales ou les pratiques agricoles, comme ce dimanche 22 mars 1885, lorsque M. Vincey, professeur départemental d’agriculture, donna en mairie de Villeurbanne une conférence « qui traitera le sujet suivant : des engrais ». Surtout, le comice éditait deux fois par mois un journal d’une vingtaine de pages, Le cultivateur progressiste, dans lequel, après moult publicités vantant les mérites des fabricants de ruches, de clôtures ou de batteuses à vapeur, se succédaient des articles destinés à informer les paysans de Villeurbanne et des alentours des derniers progrès à l’ordre du jour. Depuis la mairie de la place Grandclément où se trouvait son quartier général, l’association du comice agricole s’imposait donc comme l’un des acteurs majeurs d’une agriculture modèle.
Par Alain Belmont, historien
Sources : Archives du Rhône, 7 M 110-111, 4 M sup 9. Archives de Villeurbanne (Le Rize), 1 D 265, 267, 268, 281, 3 C 138.