L'HISTOIRE - 1880-1914 : Villeurbanne accueille les premiers migrants italiens

L’industrialisation de Villeurbanne, à la fin du 19e siècle, a provoqué l’arrivée d’une population nouvelle, constituée en partie d’étrangers, notamment d’Italiens qui n’ont pas toujours été si facilement acceptés qu’on le croit.
La Tribuna

Journal La Tribuna, 8 juillet 1894 : le saccage des magasins italiens à Lyon.

Le 24 juin 1894, l’anarchiste italien Santo Geronimo Caserio assassinait, à Lyon, le président de la République française Sadi Carnot. Au cours de la nuit et des deux jours qui suivirent, une partie de la population s’en prit aux Italiens de l’agglomération, saccageant notamment de très nombreux locaux d’artisans et de commerçants transalpins aux cris de « À bas les macaronis ! ». Après trois jours de déchaînement, environ 110 locaux avaient subi des dégâts importants dont six à Villeurbanne où une petite population italienne avait commencé à s’installer.

Épicerie de Villeurbanne saccagée le 25 juin 1894. Le patron, Paul-Eugène Tizzani, était originaire de Locana, dans la province de Turin.

Certains d’entre eux avaient ouvert des épiceries ou proposaient des chambres pour loger leurs compatriotes. C’était le cas de Luigi Giay-Miniet, originaire de la commune de Giaveno, située près de Turin, qui, depuis 1890, tenait une épicerie-comptoir, un commerce de charbon et un garni au 122 avenue Thiers. Le tout était réparti dans trois bâtiments modestes qui occupaient une superficie de 100 m². Mais, le 25 juin 1894, vers 22 heures, un groupe d’assaillants s’introduisit dans les lieux, fit déménager les locataires des chambres garnies et mit le feu aux bâtiments qui furent réduits en cendres.

De très nombreux Italiens, craignant pour leur vie ou ayant tout perdu pendant les trois jours de saccage, ont quitté l’agglomération en juin 1894. À Villeurbanne, les Transalpins étaient encore peu nombreux à l’époque. Le recensement de 1886 en comptabilise à peine 301 sur une population de 14 715 habitants. Et leur nombre évolue peu jusqu’à la fin du 19e siècle car une crise économique majeure, que l’on a appelée la « Grande Dépression », touche alors l’Europe et multiplie les « sans-travail ». Elle explique en partie le durcissement des relations entre Français et étrangers accusés de voler leurs emplois, et les violences du mois de juin 1894. Mais, à partir du début du 20e siècle, la situation économique s’améliore et les Italiens retrouvent le chemin de Villeurbanne : ils sont 766 en 1906, soit plus des trois-quarts des étrangers de la commune, et environ 1 100 en 1910.

Venus travailler dans les nombreuses usines textiles de Villeurbanne, les Italiens sont alors majoritairement… des Italiennes. En effet, les filatures et les usines de tissage emploient surtout des femmes et certains chefs d’entreprise envoient des agents recruteurs dans le Canavais et le Val Chisone, des régions alpines du Piémont, où ils proposent des contrats aux jeunes femmes de Pinasca, Pinerolo, Foglizzo, San Giusto Canavese ou Traversella, C’est le cas, en particulier, de Jean-Louis Villard qui a installé, à la fin des années 1890, une importante filature de schappe (c’est-à-dire de déchets de soie) à Croix-Luizet, au 60-62 route de Vaulx (actuellement 10 rue du Pérou). Villard emploie majoritairement des Italiennes comme fileuses ou canneteuses et devient rapidement l’un des principaux employeurs de Transalpins de la ville. Autour de l’usine, de nombreux garnis peuplés d’Italiens s’installent route de Vaulx (83 Italiens en 1906), rue des Sauveteurs (62 Italiens) ou rue des Poulettes (47 Italiens).

La Cité Garcin, en mars 1976, peu avant sa destruction.

La concentration d’Italiens dans le quartier de Croix-Luizet est sans commune mesure avec le reste de la ville mais les logements sont rares. Aussi certains logeurs construisent, en toute hâte, de nouveaux bâtiments comme la Cité Garcin qui sort de terre, vers 1905, au 9 ancienne route de Vaulx (devenu 25 rue Georges-Courteline). Disposés le long de deux allées parallèles, les bâtiments de cette cité n’ont qu’un étage et sont entourés de jardins mais ils ont été construits à l’aide de matériaux de piètre qualité qui se dégradent rapidement, d’autant plus que la cité, conçue pour accueillir une quarantaine de ménages, en héberge deux fois plus en 1911, soit 336 habitants dont 160 Italiens. Dès 1913, le Bureau municipal d’hygiène de Villeurbanne alerte la municipalité sur l’insalubrité de la cité, estimant qu’elle constitue « un véritable foyer d’épidémie » qui est aggravé, selon lui, par le fait que « la majorité des habitants de cette cité sont des Italiens qui vivent au milieu d’une saleté repoussante, entassés dans des logements trop exigus, souvent, pour le nombre d’habitants qui y séjournent ».

Document d'identité.

Le regard sur les Italiens reste donc encore négatif à la veille de la Première Guerre mondiale, moment où cette population ne cesse de croître et de se diversifier au sein de la commune. C’est à cette époque, en particulier, que Villeurbanne commence à voir s’installer des migrants originaires de Roccasecca, Sora ou Isola del Liri, des communes situées entre Rome et Naples, dans une région appelée la Ciocciaria. Ce foyer d’immigration italienne, qui s’était d’abord installé autour des verreries de la région lyonnaise – à Gerland, Oullins ou Givors – jouera un rôle important à Villeurbanne après 1918

 

Beau livre

Jean-Luc de Ochandiano, auteur de  Lyon à l’italienne

Lyon à l’italienne

Jean-Luc de Ochandiano est conservateur en chef des bibliothèques à l’Université Lyon 3. Historien spécialiste du monde ouvrier et de l’immigration, il est chercheur associé au LARHRA (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes). Il est l’auteur de Lyon à l’italienne : deux siècles de présence italienne dans l’agglomération lyonnaise, publié aux éditions Lieux dits en 2013. La deuxième édition revue et corrigée paraîtra le 10 octobre 2016.

Ce beau livre illustré de 272 pages raconte deux siècles d’immigration et de présence italienne dans Lyon et son agglomération. Des paysans pauvres qui, pendant une partie de l’année, quittaient les montagnes italiennes pour venir gagner quelques sous dans les ateliers ou sur les chantiers, aux ouvriers s’installant en nombre à Lyon et son agglomération pour travailler dans les usines. Des quartiers marqués par une forte présence italienne naissent alors, des entreprises et des commerces italiens se développent, des associations voient le jour. Ils permettent à ces déracinés de préserver leur mode de vie, leurs traditions.

Cette immigration italienne a perduré jusqu’à la fin des années 1960. Quelle mémoire a laissé cette immigration, la plus importante à Lyon au cours de ces deux siècles ? Autant de réponses à découvrir dans ce beau livre très complet et documenté.

 

Des verriers vénitiens à Villeurbanne

Avant 1914, une entreprise a joué un rôle important, mais fugitif, dans l’emploi de main-d’œuvre italienne à Villeurbanne : il s’agit de La Perle française qui s’implante, en 1899, chemin de la Bouteille, à proximité des Grands Moulins Électriques de Villeurbanne. Elle fabrique exclusivement des perles de verre, production qui était alors une spécialité de Venise, en particulier de l’île de Murano, et n’a pas alors d’équivalent en France. Pour concurrencer le savoir-faire vénitien, les responsables font venir 250 ouvriers de cette ville : une trentaine de verriers qualifiés ; des tireurs de cannes qui ont pour rôle d’étirer sur une cinquantaine de mètres le tube créé par le verrier (tube qui est ensuite débité en de minuscules tronçons cuits à nouveau dans un four tournant pour leur donner une forme cylindrique) ; des choisisseuses qui s’occupent du conditionnement des perles, etc. L’expérience de La Perle française ne semble pas avoir été fructueuse puisque l’usine ferme ses portes dès 1903.

Étirage du tube de verre, première phase de la fabrication des perles. Tiré de l'ouvrage de Paul Poiré, À travers l'industrie, Librairie Hachette et Cie, 1891

Par Alain Belmont, historien

 

Appel

L’histoire des Italiens à Villeurbanne continue de s’écrire, Viva est à la recherche de photos ou de documents sur :

• La congrégation italienne des Sœurs des pauvres de Bergame, installée au début des années 1930, au 47 place Jules-Grandclément, dans une belle maison bourgeoise et y est restée jusque dans les années 1990. Elle menait une œuvre caritative auprès des immigrants italiens.

• La fête et la procession de la Saint-Roch qui se déroulaient, une fois par an, à proximité de l’église de la Sainte-Famille, entre 1930 et 1975.

• La Mission catholique italienne qui s’installe en 1970 au 7 rue du Docteur-Dolard et qui y est restée jusque vers 2010.

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