L'HISTOIRE - Etienne Debourg, premier maire de Villeurbanne
1 juin 2016
Le nom d’Etienne Debourg s’est inscrit dans l’histoire le 14 février 1790. Ce jour-là, 129 chefs de famille de notre commune élisent pour la première fois un maire à Villeurbanne. Deux mois auparavant, le 14 décembre 1789, l’Assemblée nationale a, en effet, définitivement supprimé toutes les formes d’administration locale héritées de l’Ancien Régime, notamment les assemblées d’habitants et les consuls qui, jusque-là, avaient géré les villes et les villages. Pour l’occasion, les électeurs se sont « assemblés au son de la grosse cloche à l’issue des vêpres dans notre église paroissiale », à Cusset, puis ont écouté attentivement les explications données par le notaire et le curé du village. À quoi va donc servir cette "municipalité" que les députés ont inventée, et qui va s’en occuper ? Les discours se succèdent, tous enflammés de l’esprit du temps, en ce « premier jour de la restauration de notre liberté », déclare le procès-verbal de la réunion. Puis, « de là, l’assemblée a passé à l’élection du maire ». Une élection d’abord marquée par une hésitation, puis suivie d’une large adhésion : « Le premier et le second scrutin individuel n’ayant pas donné la pluralité absolue des voix, on a procédé à un troisième [tour], dans lequel maître Etienne Debourg a réuni les deux-tiers des suffrages ».
Signatures des membres du conseil municipal et des citoyens de Villeurbanne, lors d'une assemblée extraordinaire, en l'église de Cusset, le 21 février 1791.
En élisant Debourg, les Villeurbannais ont choisi un homme jeune qui, jusque-là, n’a jamais joué de rôle dans la vie politique locale. Né le 9 octobre 1763, il n’est âgé que de 26 ans lorsque les électeurs lui confient les rennes de la commune. Mais il appartient à une bonne lignée. Habitant le hameau des Buers, il exerce la profession de laboureur et de marchand, ce qui le place parmi les familles les plus aisées du village, au même rang que les Gacon, les Buer ou les Saulnier. À preuve, lorsqu’il s’est marié avec Fleurie Goipard, en 1784, la belle lui a apporté plus de 4 000 livres en pièces d’or et d’argent, l’équivalent du patrimoine de deux ou trois artisans. Puis, durant toute sa vie, Debourg a continué à s’enrichir, achetant des terres à tour de bras, au point de posséder un domaine de 27 hectares, l’un des plus grands de la commune, dont les récoltes et les troupeaux alimentent les marchés de Lyon. L’aisance financière, cependant, ne vaut pas l’expérience, et l’on s’étonne qu’à un moment-clé de leur histoire, les électeurs aient choisi un novice. En fait, la désignation de Debourg semble résulter d’un calcul politique. En votant pour lui, les élites du village, comme le notaire Cochard ou l’ancien châtelain Broal, ont peut-être cru pouvoir le contrôler, en faire leur marionnette. Mais ils ont échoué. D’emblée, Debourg s’avéra un excellent maire. Alors que son mandat fut très court – un an et demi seulement, de février 1790 à novembre 1791 –, il eut le temps d’assembler toutes les pièces de cette nouvelle institution qu’était la commune.
Un garde national et sa femme par Rémy Furcy Descarsin, musée de la Révolution, Château de Vizille.
Un temps, les notables tentèrent de faire comme si de rien n’était, réunissant « la plus saine et notable partie de la paroisse », autrement dit les plus riches, comme sous l’Ancien Régime. Mais Debourg convoqua son conseil et, en quelques délibérations, enterra l’ancienne institution en s’appuyant sur les décrets de l’Assemblée Nationale. L’heure était à la démocratie, et non plus à l’oligarchie. Entraînés par le mouvement, ses conseillers se crurent investis de tous les pouvoirs, et prirent des arrêtés de leur propre initiative. Là encore, Debourg remit tout le monde dans le droit chemin, en rappelant qui était le maire. La démocratie n’était pas synonyme d’anarchie. C’est à lui que l’on doit la première mairie, une « chambre assez malcommode », louée dans le presbytère de Cusset. Lui aussi, qui créa le 5 mai 1790 la garde nationale, l’équivalent d’une police municipale, formée par tous les hommes en âge de porter des armes. Lui, qui incarna les idéaux de la Révolution, en mettant notamment en place les nouveaux impôts payés par tous les citoyens et non plus seulement par les roturiers. L’institution communale étant dotée de solides fondations, Debourg consacra ses efforts à l’avenir de Villeurbanne. En janvier 1791, il décida de faire drainer les nombreux marais du village et, surtout, d’améliorer ses routes principales, en bien piteux état. Ainsi, « les avenues étant plus faciles, les citoyens de Lyon fréquenteroient plus souvent nos campagnes et y prendroient goût par la suite et chercheraient à faire des acquisitions », ce dont tout le monde profiterait. Cet ambitieux programme visa d’abord les routes reliant Cusset et Vaulx-en-Velin à Lyon – nos actuelles rue Francis-de-Pressensé et avenue Salengro. Pour réaliser les travaux, Debourg rameuta tous les riverains, qui remblayèrent à leurs frais les fondrières pour les muer en de belles chaussées carrossables. Arriva novembre 1791. De nouvelles élections portèrent au pouvoir Alexis Mermet. Etienne Debourg retourna à son commerce et à la gestion de ses propriétés. Il mourut à Villeurbanne le 17 mars 1837, à l’âge de 74 ans.
Repères
1715-1774 : règne du roi Louis XV
1774-1792 : règne du roi Louis XVI
1783 : fin de la guerre d’indépendance des États-Unis
7 juin 1788 : Journée des Tuiles à Grenoble, première révolte amorçant la Révolution
5 mai 1789 : Louis XVI ouvre les États généraux à Versailles
17 juin 1789 : les députés du Tiers-État aux États généraux se proclament Assemblée nationale
9 juillet 1789 au 30 septembre 1791 : Assemblée nationale constituante
14 juillet 1789 : prise de la forteresse royale de la Bastille, à Paris
4 août 1789 : abolition des droits féodaux
12 juillet 1790 : constitution civile du Clergé
3 septembre 1791 : adoption de la première constitution de la France
1er octobre 1791 : début de l’Assemblée nationale législative
La fuite du roi à Varennes
D’abord favorable aux débuts de la Révolution, le roi Louis XVI changea radicalement d’opinion et décida, le 20 juin 1791, de fuir Paris pour combattre les révolutionnaires. Il fut arrêté dès le lendemain à Varennes, sur la route de la Belgique actuelle.
Connue à Villeurbanne le 24 juin, la fuite du roi provoqua un désarroi dans la municipalité. Lors d’une réunion exceptionnelle, les membres du conseil municipal estimèrent qu’elle présageait "des malheurs". Et même pire : « ayant appris qu’il y avoit un projet d’incendier les récoltes dans les campagnes, il est très important de les soigner [de les protéger] plus que jamais ». En conséquence, Etienne Debourg ordonna à la garde nationale de patrouiller jour et nuit à travers Villeurbanne, et d’arrêter toute personne circulant à pied, à cheval ou en carrosse, pour « les vérifier très scrupuleusement ». Louis XVI fut guillotiné un an et demi plus tard, le 21 janvier 1793.
L'arrestation du roi à Varennes, gravure du XVIIIe siècle
Par Alain Belmont, historien
Sources : Archives du Rhône, 3 E 34245 à 34248. Archives de Villeurbanne (Le Rize), GG6 et 8, 1 E 49, 1 D 260, et matrices cadastrales 1829-1862.