L'HISTOIRE - L'imprimerie Arnaud, une histoire en lettres capitales

De nombreuses entreprises ont assuré la réputation de Villeurbanne bien au-delà de ses frontières. L’imprimerie Arnaud fut l’une d’elles, de la fin du 19e siècle à la fin du 20e.
Vitrification des enveloppes - ©AMV/Le Rize

Benoît Arnaud avait grandi à Lyon, tout comme son entreprise. Fils d’un "fabricant d’étoffes", autrement dit d’un canut, il était né dans le quartier des Cordeliers en 1823, mais n’avait pas suivi les voies paternelles. Au lieu de reprendre l’atelier familial, il se forma au beau métier d’imprimeur-lithographe, et devint apte aussi bien à jongler avec les lettres de plomb qu’à dessiner finement sur les pierres dont on se servait à l’époque pour reproduire les images. En 1856, l’empereur Napoléon III lui permet d’exercer son métier. Benoît Arnaud rejoint ainsi les vieilles dynasties d’imprimeurs qui, depuis la fin du Moyen Âge, ont fait la réputation de Lyon à travers toute l’Europe. Dès 1860, notre homme doit déménager son premier atelier pour s’installer place Saint-Nizier, dans un immeuble entier. Mais son entreprise s’avère décidément prospère, et étouffe dans des murs devenus trop étroits. Aussi, en 1898, Benoît Arnaud, imitant en cela nombre d’industriels lyonnais, comme les Gillet par exemple, décide de quitter Lyon pour gagner Villeurbanne, où de vastes terrains permettent l’extension de son entreprise. Il jette son dévolu sur le cours Tolstoï, plus précisément aux numéros 132 à 136, où il construit une usine aux allures de château. Alignée le long du cours, sa belle façade aux ailes ornées de grandes fenêtres cache une série d’ateliers étendus sur près de deux hectares où travaillent… plus de 600 salariés ! En une quarantaine d’années, l’histoire du petit artisan est devenue une saga en lettres capitales, qui l’a porté à la tête de l’une des plus grandes imprimeries françaises.

Dans son usine, toutes les étapes de traitement du papier se trouvent réunies. Une grande salle accueille les ouvriers dessinateurs sur pierre, qui font naître les papiers à en-tête, les illustrations des livres, les publicités et, surtout, les actions boursières dont l’imprimerie Arnaud s’est fait la spécialiste. Plus loin s’activent les typographes, experts en caractères, qui muent les petits bouts de plomb en pages soigneusement composées. Interviennent alors les presses, que des machines à vapeur entraînent dans une danse folle. Ajoutez au tableau des salles de séchage du papier, des ateliers de reliures, des bureaux pour recevoir les commandes et pour administrer tout ce petit monde, et vous obtenez les ingrédients d’une fabrique produisant de véritables œuvres d’art ; parmi les milliers de merveilles sorties de l’usine du cours Tolstoï, figure ainsi un livre de photographies relié comme une Bible, et pesant au moins 20 kilos ! Le savoir-faire de l’imprimerie villeurbannaise devient tel que les commandes affluent du monde entier. Passez-vous une nuit dans un grand palace de Jérusalem ? La facture est imprimée à Villeurbanne, chez Arnaud. De même, les publicités de la Bénédictine, de la chicorée Leroux, du cognac Hennessy, de Renault, de Shell, de Perrier ou encore d’hôtels égyptiens, colombiens, cambodgiens, et aussi les actions d’entreprises françaises, arabes, russes, sud-américaines, asiatiques, africaines, sortent de ses presses. Arnaud devient à l’imprimerie ce qu’Hermès est au textile : un producteur de luxe, aux réalisations prestigieuses. Et de fait, les distinctions pleuvent, sous forme de médailles d’or aux expositions internationales de Paris en 1889 et 1900, de Lyon en 1894, du Caire en 1924, etc.

Maison de tradition, l’usine Arnaud n’en suit pas moins de près toutes les innovations de son temps. Décédé en 1903, Benoît Arnaud est remplacé par son neveu Rodolphe Arnaud (1866-1927) puis par le fils de celui-ci, Benoît Levet-Arnaud, qui tous deux modernisent l’entreprise en introduisant l’impression offset (procédé dérivé de la lithographie), la polychromie (plusieurs couleurs) et la photographie, qui impressionnent les visiteurs. Durant les années 1930, l’imprimerie Arnaud atteint son âge d’or. Plus tard, à partir des années 1950, elle se lance dans la fabrication des carnets de chèques dont elle devient le principal fournisseur en France, allant jusqu’à en imprimer 400 millions par an ! Puis viennent des temps plus difficiles. En 1952 l’usine est achetée par une entreprise valentinoise, puis fusionne en 1986 avec trois autres sociétés, qui recentrent sa production sur les cartons d’emballages pour les chaussures Bally ou les autos Majorette. Mais, dans ce domaine la concurrence fait rage. En 1990, le groupe ferme l’établissement du cours Tolstoï, et vend ses murs à un promoteur immobilier. Ce fleuron de l’industrie d’antan cède alors la place à des immeubles d’habitation. Aujourd’hui, seules demeurent ses œuvres de papier, que l’on peut toujours admirer dans le Musée de l’imprimerie et de la communication graphique, à Lyon.

 

Repères

Vers 200 ap. J.-C. : les Chinois inventent l’imprimerie sur planches de bois (la xylographie)
1450-1454 : Johannes Gutenberg invente l’imprimerie à caractères mobiles (la typographie)
Début du 16e s. : Lyon devient l’une des capitales de l’imprimerie en Europe
1539 : grande révolte des ouvriers imprimeurs de Lyon (le "Grand Tric")
1796 : l’Allemand Aloys Senefelder invente la lithographie (imprimerie sur pierre)
1852 : l’Anglais Henry Fox Talbot invente la photogravure
1884 : invention de l’imprimerie offset
1885 : invention de la linotype, machine à composer permettant de produire toute une ligne de texte en plomb
1944 : invention de la photocomposition
Années 1980 : la publication assistée par ordinateur (PAO) fait son entrée dans les ateliers de photocomposition.

 

Un imprimeur aux mains blanches

La profession d’imprimeur est réputée pour être salissante. Pourtant, pour pouvoir l’exercer ses patrons devaient montrer patte blanche. En effet, depuis l’Ancien Régime les imprimeurs faisaient peur aux hommes politiques, qui craignaient que leurs presses éditent des écrits hostiles au gouvernement. Aussi chaque postulant au métier faisait-il l’objet d’une enquête policière. Benoît Arnaud n’échappa pas à la règle. En 1861, trois rapports, pas un de moins, tressent ses louanges auprès du préfet du Rhône : « Âgé de 28 ans, il appartient à une bonne famille de cette ville et il présente autant sous le rapport moral que sous le rapport politique, toutes les garanties désirables pour l’obtention d’un brevet d’imprimeur ». Et, cerise sur le gâteau, « il ne s’est jamais occupé de politique. Le sieur Arnaud qui est marié, sans enfants, consacre le peu de temps qu’il a de libre à aller paisiblement se promener avec sa femme ».

 

L’Histoire, par Alain Belmont, historien

 

Découvrez les photos d'archives :

L'imprimerie Arnaud, une histoire en lettres capitales

 

Sources : Archives municipales de Lyon, 2 E 214. Archives de Villeurbanne (Le Rize), 3 Obj 14, 2 C 581 (Livre Mémoire en actions, à Lyon et dans sa région), 19 F 62-65. Archives du Rhône, 2 T 36 et 37. Les archives du Rhône conservent également 106 mètres d’épaisseur (!) d’archives des établissements Arnaud, non encore accessibles aux chercheurs.

Copyright photos : AMV/Le Rize (sauf mention)

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