L'HISTOIRE - Nicolas-François Cochard, un académicien au secours du palais Saint-Pierre
2 avril 2016
Le 18e siècle s’émerveillait pour tout ce qui touchait à la philosophie, aux sciences et aux arts, au point qu’à travers l’Europe entière, la moindre personne un tant soit peu fortunée n’avait d’yeux que pour les "Lumières". C’est dans ce bouillonnement culturel que naît Nicolas-François Cochard, le 20 janvier 1763. Son père, Barthélémy Cochard, est notaire sur la Grande Rue des Charpennes et compte parmi les Villeurbannais aisés. Son étude ne désemplit jamais, d’autant qu’il assume depuis des lustres une partie des pouvoirs des seigneurs de Villeurbanne en leur servant de châtelain, le tout en cumulant des responsabilités dans la gestion des affaires communales. C’est donc tout naturellement que Nicolas-François Cochard suit les voies paternelles. Il entame des études de Droit à Grenoble, puis devient avocat en 1785. Une profession qu’il exerce d’abord à Vienne puis dans les villages des alentours. Vienne est pour lui comme une révélation. Environné des monuments bâtis par les Romains – le temple d’Auguste et de Livie, la pyramide, les thermes du palais du Miroir –, il tombe littéralement amoureux de l’Antiquité. Arrive la Révolution française, qui change radicalement le cours de son existence, en lui permettant de mener de front sa profession et sa passion. Cochard troque sa robe d’avocat contre l’habit du politicien ; il entre en 1792 au Conseil général de l’Isère, puis siège comme conseiller à la préfecture du Rhône, à partir de 1798.
Nicolas-François Cochard
Le pouvoir que lui confèrent ses nouvelles fonctions est aussitôt mis au service de la science et des arts. Ainsi, c’est à lui qu’est confiée, de 1800 à 1815, l’organisation des Archives départementales du Rhône, cette mine de parchemins et de registres anciens dans laquelle les généalogistes et les historiens puisent toutes les informations pour leurs recherches… y compris celles de l’article que vous lisez en ce moment. La Révolution ayant nationalisé les biens du Clergé, les monastères et les couvents sont vendus aux premiers venus et, pour beaucoup d’entre eux, détruits de fond en comble, comme le couvent des Jacobins ou encore celui des Célestins, dans le 2e arrondissement de Lyon. Merveille du 17e siècle, l’abbaye royale de Saint-Pierre, sur la place des Terreaux, est elle-même promise à la démolition : elle doit être remplacée par quatre rues et des galeries marchandes… Là encore, Cochard intervient. Il parvient de justesse à éviter le pire, en 1798, puis à transformer l’ancienne abbaye en Musée des Beaux-Arts, en compagnie de l’archéologue lyonnais François Artaud. Désormais, les statues, les inscriptions romaines, les œuvres des peintres antérieurs à la Révolution, rejoignent ce temple des arts et de l’antiquité.
La passion de Cochard s’étend aussi aux œuvres de la nature. En amoureux des plantes, il crée le premier jardin botanique de Lyon sur les pentes de la Croix-Rousse, rue Terme. « Les points de vue admirables dont on jouit en circulant dans ce vaste enclos, l’ombrage qu’on y rencontre, le bon air qu’on respire, le font rechercher de tous ceux que la vue des productions de la nature récrée et attache ». Cette nature, notre concitoyen d’hier cherche à la rendre plus fructueuse, afin de faire reculer le spectre des famines. Aussi l’historien, le conseiller de préfecture, le botaniste, se convertit à l’agronomie. Il tente par ses expériences d’accroître les rendements des cultures autour de Lyon, d’acclimater de nouvelles plantes et même d’améliorer les vins des côtes-du-Rhône, tels ceux de Condrieu, qui gagnent en qualité grâce à son intervention. Son action lui vaut moult reconnaissances : en 1809 il devient membre de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon ; en 1819 membre de la Société historique, archéologique et littéraire de Lyon ; et, consécration suprême, il entre le 17 août 1825 à l’Académie d’agriculture de France.
Plan du jardin des plantes, dans les pentes de la Croix-Rousse
Tout comme ses recherches, sa plume ne connaît pas de relâche. Il publie durant sa vie plus d’une trentaine d’ouvrages consacrés à l’histoire et à la statistique des communes de notre région : sur Condrieu, Saint-Symphorien-sur-Coise, Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, Saint-Romain-en-Gal, Saint-Priest, Oullins, Ampuis, Sainte-Colombe-lès-Vienne, Vienne bien sûr, sans oublier un monumental Séjour d’Henri IV à Lyon pendant les années 1564, 1574, 1595 et 1600, fort de 234 pages. Son livre le plus célèbre demeure néanmoins son Conducteur de l’étranger à Lyon, ou description des curiosités, des monuments et des Antiquités que cette ville renferme, publié en 1815 et dont les 158 pages sont considérées comme le premier guide touristique de la ville des canuts. L’âge venant, ce bourreau de travail se retire dans son domaine de Sainte-Colombe-lès-Vienne, où il meurt le 20 mars 1834. L’ancien Villeurbannais qu’il était n’avait pas oublié sa patrie d’origine : il rédigea sur la fin de sa vie une description de notre ville, devenue un précieux témoignage, maintenant vieux de plus de 200 ans.
Repères :
1715-1774 : règne du roi Louis XV
1759 : Voltaire publie Candide, ou l'Optimisme
1762 : Jean-Jacques Rousseau publie Emile, ou de l'Education
1763 : traité de Paris. La France perd ses colonies en Amérique, en Afrique et en Inde
1800 : Alessandro Volta invente la première pile électrique
1828 : ouverture de la première ligne de chemin de fer en France, à Saint-Etienne
1830-1848 : règne du roi Louis-Philippe
Voyage à Villeurbanne
Vers 1810-1820, Nicolas-François Cochard revient au village de son enfance. Un voyage en forme de pèlerinage, dont il livre un récit émouvant. Extraits : "À mesure que nous avancions, mon cœur éprouvait des jouissances infinies. Vingt-cinq ans d’absence me semblèrent y avoir apporté des changements notables : de toutes parts, je remarquais des constructions nouvelles ; les eaux étaient recueillies avec plus de soin, et servaient non seulement à l’irrigation de quelques prairies autrefois couvertes de joncs et de mousses, mais encore à alimenter des usines importantes que le commerce venait d’établir ; les chemins étaient mieux entretenus, la population augmentée […] ; cette idée me comblait de joie". Son tableau enthousiaste comporte aussi quelques regrets : "Au bas de la colline [de l’église de Cusset], était un ormeau gigantesque ; il couronnait de ses innombrables rameaux une petite place triangulaire que les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe venaient animer de leurs jeux à l’époque de la fête patronale. Ce bel arbre a été abattu durant nos dissensions politiques [la Révolution], la place même a été envahie par les propriétaires voisins, et le bal champêtre a cessé d’avoir lieu".
Par Alain Belmont, historien
Sources : Archives du Rhône, 4 E 5480 et 4 E 4203. Bibliothèque municipale de Lyon, fonds Coste, 352752, N.-F. Cochard, "Promenade aux environs de Lyon, Villeurbanne, Vaulx-en-Velin" ; idem, cote 320468, J.-B. Dumas, "Éloge historique de Nicolas-François Cochard", 1834 ; idem, cote 320548, L.-F. Grognier, "Notice sur N.-F. Cochard", Barret, 1836.