Les murs de Villeurbanne parlent de la Résistance
27 août 2018Le passant remarque parfois sur les murs, les plaques consacrées aux résistants victimes de l’occupant nazi et de ses complices de Vichy. Elles réunissent :
« Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas » (Aragon)
Elles vont du chanoine Boursier, diffuseur de la revue résistante Les Cahiers du Témoignage chrétien, à Tita Coïs, un antifasciste italien réfugié en France.
Certaines de ces plaques sont fragiles. Il a donc semblé opportun à l’association Mémoire Rhône-Alpes, chargée de coordonner au plan régional les contributions des auteurs du Maitron, le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social, de recueillir cette mémoire murale à l’usage des nouvelles générations. Très fortement marquée par la Résistance et la répression, la ville de Villeurbanne a fait parler les murs et les plaques pour leur rendre hommage. Elle les a même accompagnée d'explications historiques sur des panneaux pédagogiques, relayées par des fiches biographiques accessibles sur le site des archives communales(1).
La forme, le contenu et le rythme de ces traces offertes au regard des passants méritent observation. L'occupation symbolique de l'espace urbain par le souvenir de la Seconde Guerre mondiale est significative. Le panorama de Villeurbanne est très diversifié comme l'était d'ailleurs la résistance locale.
Une femme de premier plan s'impose dans cette évocation, Berty Albrecht, militante du droit des femmes qui, dès 1941, découvrit à Villeurbanne l'imprimeur qui tira le journal clandestin Les Petites Ailes. Elle mourut tragiquement le 31 mai 1943 dans la prison de Fresnes.
Elle qui avait sympathisé en 1933 avec Victor Basch, président de la Ligue des droits de l'Homme, dans sa campagne pour le droit des femmes à la contraception et à l'avortement libre, le retrouve sur les murs de la ville. Car Basch et sa femme Hélène, réfugiés à Lyon, furent arrachés de leur domicile par un commando de miliciens français et de soldats allemands, puis massacrés.
Un médecin, abattu par les troupes allemandes le 31 août 1944 alors qu'il portait secours à des blessés, le docteur Jean Damidot, a vu son nom donné à un cours et est signalé par une plaque de marbre.
L'hommage révèle certains aspects de la sociabilité villeurbannaise. Le résistant Paul Gojon, receveur des PTT, est signalé par une rue mais aussi par une plaque de la Société des jardins ouvriers de Villeurbanne, plaque consacrée aussi à Joseph Jacquet, fusillé à Bron, et à Rolland Tardy, mort dans un maquis de l’Isère, réunis tous les trois par leur passion jardinière et leur engagement patriotique.
Une quinzaine de communistes sont honorés. Le destin de l'un d'eux est particulièrement touchant. Louis Adam, fabricant de brosses, est aveugle, ce qui ne l'empêche pas de militer et de résister. L'État major FTPF se réunit parfois dans son appartement qui sert aussi de dépôt d'armes. Arrêté avec sa femme Marguerite en mai 1944, il est fusillé sans jugement le mois suivant. Sa femme meurt en déportation. En avril 1946, la rue de la Fraternité prit le nom de Louis Adam et une plaque de marbre, 25 cours de la République, salue le couple.
Ce sont aussi les frères Vitale et Eusebio Giambone, des antifascistes d'origine italienne. L'un, Vitale, s'est illustré pendant la Guerre d'Espagne et y a laissé sa vie, l'autre, Eusebio, est fusillé par les fascistes à Turin, en avril 1944. Une plaque au 29 avenue Henri-Barbusse leur rend hommage.
Dernier exemple puisé dans l'univers communiste, celui du métallurgiste Georges Lyvet, colonel Avold dans la Résistance, torturé, exécuté dans les locaux de l'hôpital de la Croix-Rousse. À Villeurbanne, c'est le stade qui prend son nom. Une stèle a été restaurée. Essentiellement syndicaliste, secrétaire régional de la Fédération sportive et gymnique du travail, longtemps sympathisant du Parti communiste et admirateur de l'Union soviétique, Georges Lyvet franchit le pas pendant la guerre et devient un dirigeant de premier plan des Francs-tireurs et partisans français. C'est anonymement qu'il est transporté de l'hôpital à l'Institut médico légal puis inhumé au cimetière de la Guillotière avant d'être identifié et réinhumé dans le village bressois de Curciat-Dongalon (Ain).
Le rôle spécifique de la mémoire résistante chrétienne mérite d'être souligné. Francis Chirat, né en 1916 à Villeurbanne, garçon de course, est le président de la section JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) de la ville. Résistant, il diffuse Témoignage chrétien et joue un rôle majeur dans les milieux catholiques de la zone sud opposés à Vichy et aux occupants. Arrêté, torturé, il est abattu le 27 juillet 1944 à Lyon, place Bellecour, avec trois autres prisonniers. Une rue de Villeurbanne porte son nom.
Son homologue féminine, Andrée Brevet, dirigeante de la JOCF à Villeurbanne, participe activement à la Résistance. Elle fonde le comité d'aide aux victimes de la rafle du 1er mars 1943, répression qui a touché plus de 130 hommes à Villeurbanne, tous déportés. Elle meurt elle-même en déportation à Ravensbrück. Une rue de Villeurbanne porte son nom.
Mais dans le milieu catholique, c'est l'engagement et le destin du chanoine Boursier qui frappe les mémoires. François Boursier, né en 1878, curé fondateur de la nouvelle paroisse de l'église Sainte-Thérèse de l'enfant Jésus, et homme de caractère, s'oppose à Vichy et entre dans la Résistance. Il n'hésite pas à participer au Service d'atterrissage Parachutage, puis au BCRA(2). Arrêté par des auxiliaires français de la Gestapo, torturé, il est exécuté avec 120 autres détenus à Saint-Genis-Laval (Rhône) le 20 août 1944. Dès le mois d'octobre 1944, la place du Marché du nouveau centre devient "place du chanoine Boursier, 1878-1944, martyr de l'occupation allemande".
On mesure l'importance, la force et la portée de cette occupation symbolique de l'espace par les noms des femmes et hommes qui se sont battus contre l'oppression. Chrétiens, communistes, socialistes, antifascistes, républicains, leur diversité fut un temps au service d'un même combat. Nos travaux historiques ont l'ambition de le faire revivre, de donner sens à leur sacrifice.
Le dictionnaire Maitron des fusillés et exécutés(3), disponible en ligne, comporte 78 biographies de fusillés au camp de La Doua et près de 200 victimes ayant un lien avec Villeurbanne, une ville qui a su donner place aux acteurs de la résistance et aux victimes de la répression.
Jean Lorcin, Claude Pennetier et Dominique Tantin, historiens
(1) lerizeplus.villeurbanne.fr
(2) Bureau central de renseignements et d’action.