L'Histoire - De Cusset aux Gratte-Ciel, la mairie vagabonde

Presque 150 ans. C’est le temps qu’a mis la mairie pour arriver à son emplacement actuel. Récit d’une longue migration, semée de nombreuses péripéties.
Mairie inaugurée en 1904, place Grandclément (© DR)

>> Mairie inaugurée en 1904, place Grandclément (© DR)

Le 14 février 1790, les habitants de Villeurbanne se pressent en foule pour élire, pour la première fois de leur histoire, le maire et les conseillers municipaux de la commune. Les vivats retentissent dans… « notre église paroissiale » ! A défaut de mairie, c’est en effet là, dans l’église de Cusset, au milieu des tombes, des croix et des statues des saints, que se tiennent les assemblées électorales et les réunions du conseil municipal. Mais monsieur le curé ne l’entend pas de cette oreille, appréciant sans doute peu les discussions houleuses dans un lieu censé être voué à la prière. Soit, on louera donc une pièce dans la maison d’un habitant, qui fera office de « chambre ou s’assemblent ordinairement MM. les officiers municipaux ». Tout est à faire dans cette “maison commune”, à commencer par acheter les tables, les chaises, des registres, du papier, un coffre pour les archives, et songer aussi à aménager une salle pour servir de prison du village. Six ans plus tard, en 1796, la toute jeune municipalité villeurbannaise se trouve déjà trop à l’étroit dans son petit F1. Elle lorgne sur l’ancien domicile du curé, le « cy-devant presbitere », à portée de voix de l’église. Et ni une ni deux, se l’attribue comme si de rien n’était et sans bourse délier : « L’administration occupera la grande salle du rez de chaussée, la pièce à côté, plus la chambre au premier étage qui est au-dessus de la cuisine ». Le reste du bâtiment servira à loger le secrétaire de mairie, et à accueillir l’école communale.

Inauguration de la mairie de Grandclément en 1904, en présence du ministre Trouillot. (© DR)

>> Inauguration de la mairie de Grandclément en 1904, en présence du ministre Trouillot. (© DR)

Bien joué ! Sauf aux yeux du conseil général, qui n’apprécie guère la manœuvre et décide de vendre le presbytère à des particuliers. Retour à la case location pour la municipalité, et retour à l’errance. Pendant des décennies, c’est le domicile du maire qui tient dès lors lieu de mairie. Une solution qui ne satisfait personne. La population raille les maires successifs, auxquels elle reproche de mettre dans leur poche les loyers de la soi-disant mairie. De leur côté, les maires se plaignent d’être sans arrêt importunés à tous moments de la journée. Comme François-Xavier Monavon, qui en 1828 dénonce une situation qui
« impose au maire l’obligation d’etre perpétuellement en fonction d’etre maire, adjoint, secretaire et presque garde champetre. Il s’expose aussi à éprouver assez souvent jusque dans son interieur, les effets de la rusticité pour ne pas dire plus, de la part de quelques administrés » ! Que l’on se dote enfin d’une mairie en bonne et due forme ! En conséquence, François-Xavier Monavon propose de vendre une partie des terrains communaux de La Doua, pour financer l’achat d’une belle maison de maître, sur l’actuelle place Grandclément. Tollé de la population. Pas question de toucher aux communaux, ni de quitter le quartier de Cusset pour s’installer ailleurs. L’affaire coupe Villeurbanne en deux, entre les partisans du vieux village de Cusset et ceux tournés vers les Charpennes et les Maisons-Neuves, où poussent des nouveaux quartiers semés d’usines modernes. Ereinté par cette joute, le maire Monavon perd son écharpe en 1830.

La mairie achetée en 1849 et détruite en 1901. (© BM Lyon fonds Sylvestre)

>> La mairie achetée en 1849 et détruite en 1901. (© BM Lyon fonds Sylvestre)

Mais l’on n’arrête pas l’histoire. Une vingtaine d’années plus tard, en 1849, alors que la Deuxième République fête à peine son premier anniversaire, Villeurbanne décide enfin de s’offrir son hôtel de ville. Le contexte politique national a certainement joué dans ce grand pas en avant, mais le tournant décisif est intervenu avec la vente des terrains communaux à l’armée, qui a rapporté la coquette somme de 165 000 francs, largement plus qu’il n’en faut pour acquérir un bâtiment. Matérialisant le déplacement du centre de gravité de notre ville en direction de l’ouest, le choix des élus se porte comme Monavon l’avait déjà fait, sur une grande maison de maître ayant servi d’usine textile puis de pensionnat, implantée place Grandclément, « dans la plus belle situation de Villeurbanne ». Dans ce vaste ensemble, on aménage une salle des mariages, un bureau du maire, des bureaux pour les employés municipaux et l’école communale, tandis qu’un jardin public agrémente les abords. Las, cinquante ans plus tard, ce bel immeuble s’avère insuffisant pour répondre à la croissance démographique effrénée d’une cité désormais devenue, avec ses 29 000 habitants, la deuxième du département du Rhône. Alors vite, le maire Frédéric Faÿs fait construire entre 1901 et 1904, un hôtel de ville digne d’un château, situé au même emplacement que la mairie précédente. Il était temps. Alors que Lyon menaçait d’annexer Villeurbanne – et fut à un cheveu de réussir –, ce palais républicain allait incarner dans la pierre l’indépendance municipale. Même s’il ne servit qu’à peine trente ans ! L’histoire est décidément têtue.

Projet de rénovation de la mairie, place Grandclément à la fin du XIXe siècle. (© DR)

>> Projet de rénovation de la mairie, place Grandclément à la fin du XIXe siècle. (© DR)

 

La mairie se fixe aux Gratte-Ciel 

La querelle entre le « vieux Villeurbanne » de Cusset et les récents quartiers des Charpennes et des Maisons-Neuves, envenima toute la vie politique locale au cours du 19e siècle et du début du 20e, au point de susciter des tentatives sécessionnistes de la partie ouest de notre ville ! Il fallait en finir avec ces guerres intestines. Élu maire en 1924, Lazare Goujon opta pour une solution radicale. Il profita de la construction du nouveau quartier des Gratte-Ciel pour déménager la mairie hors des trois quartiers historiques, et l’implanter au centre de la cité. Construite de 1931 à 1934 sous la direction de l’architecte Robert Giroud, et inscrite aux Monuments Historiques, la mairie actuelle incarne aujourd’hui l’image de Villeurbanne, avec ses façades aux allures de temple grec et son beffroi prêt à toucher les nuages. Du haut de ses 90 ans d’âge, elle est aussi celle qui a battu tous les records de longévité. Il semblerait que cette fois, la maison commune ait trouvé son nid pour moult générations.

 

Repères 

-    1789 : Révolution française
-    1790 : l’Assemblée Nationale instaure les communes
-    1793 : Villeurbanne compte 1617 habitants
-    1815-1848 : Retour de la monarchie en France
-    1848 : Révolution, instauration de la IIe République
-    1892-1903 : Frédéric Faÿs, maire de Villeurbanne
-    1902-1906 : le maire de Lyon Victor Augagneur tente     d’annexer Villeurbanne
-    1924-1935 : Lazare Goujon, maire de Villeurbanne
-    1931 : Villeurbanne compte 82 038 habitants
-    17 juin 1934 : inauguration du quartier des Gratte-Ciel et de la nouvelle mairie
-    29 avril 1991 : arrêté d’inscription Monument Historique de la mairie de Villeurbanne

 

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