L’HISTOIRE - Dernières volontés, histoires d’héritages

Lorsqu’ils sentaient leur dernière heure approcher, les Villeurbannais d’Ancien Régime dictaient leur testament à un notaire. L’occasion pour nous de partager leurs secrets de famille.
Église Saint-Julien - Cusset (©DR)

Église Saint-Julien - Cusset (©DR)

Le 18 décembre 1761, un vendredi, le notaire de Villeurbanne se rend au domicile du maréchal-ferrant du village, Pierre Chambard. A 55 ans, le gaillard est encore dans la force de l’âge, mais la maladie qui l’accable lui fait craindre le pire, « considérant la certitude de la mort, et l’heure incertaine d’icelle ». Aussi, c’est couché dans son lit que Chambard reçoit le notaire et ses sept témoins, qui entendront ses secrets de famille et les garderont soigneusement pour eux, jusqu’au moment de son trépas. Puis, le souffle court et la voix basse, maître Chambard annonce ses dernières volontés. En bon chrétien, ses premières pensées vont vers son avenir au paradis.
« Pour le repos de son âme et de sa famille », il demande que vingt grandes messes de requiem, et dix basses, soient prononcées par monsieur le curé sitôt qu’il aura quitté notre monde. Ainsi espère-t-il être pardonné de ses péchés et éviter le purgatoire, voire l’enfer, que redoutent tant ses contemporains. Quant à son corps, maître Chambard souhaite qu’il soit enterré « dans la chapelle de l’église de Villeurbanne ». Un paysan pauvre n’aurait eu droit qu’au cimetière mais lui, un notable du village, mérite les honneurs de l’intérieur du sanctuaire. La mort est ainsi faite, qu’elle tient compte des distinctions sociales jusque dans la dernière demeure… Puis vient l’objet principal du testament, le sort de ses biens. C’est pour eux, et « pour assurer la paix et l’union dans sa famille », que maître Chambard a requis le notaire. Lequel, de ses trois enfants et de sa femme, remportera-t-il la plus belle part ? Témoins et notaire sont pendus à ses lèvres. A sa fille Virginie, maître Chambard lègue une somme ridicule, 10 Livres. Lorsqu’elle s’est mariée, elle a déjà reçu une dot et n’aura pas davantage. La voilà exclue de l’héritage. Par contre son autre fille, Antoinette, qui ne s’est point encore mariée, héritera de 500 Livres, soit cinquante fois plus que sa sœur. L’égalité entre tous les enfants n’est pas encore de mise, et ces gens d’Ancien Régime agissent comme dans la fable du Chat Botté : tout pour l’aîné, et trois fois rien pour les puinés. De temps en temps, certains mourants se montrent un peu moins avares envers leurs cadets. Comme Marie Cayet, qui donne à ses deux filles un tiers de ses « meubles et linges », qu’elle prend soin de détailler dans une liste à la Prévert :
« un garde robe bois noyer à deux portes et un tiroir au milieu, dans lequel sont cinq draps de lit, neuf chemises de femme toile de ménage, deux paires de balances », et ainsi de suite. Ou comme Françoise Robert, qui lègue à sa filleule et petite-fille « sa croix d’or pour qu’elle conserve memoyre de moy ». Mais point de ces cadeaux chez notre forgeron. Lui n’a d’yeux que pour son fils, Philibert Chambard. En tant qu’unique mâle de la famille, il héritera du gros morceau : la totalité de ses biens « meubles et immeubles ». Ainsi, la petite aisance des Chambard se transmettra-t-elle intacte, de génération en génération. Et l’épouse, dans tout cela ? Elle aussi a droit à une donation. Et même mieux, les testaments lui réservent presque toujours une place de choix : « à sa chère et bien aymé femme », dicte ainsi un certain Claude Pellisson, « pour les bons et agréables services quil reçoit d’elle et espère recevoir jusques a son deced », il lègue tous ses biens.

Jean-Baptiste Greuze "Le Fils puni" 1778. Musée du Louvre

Jean-Baptiste Greuze "Le Fils puni" 1778 (Musée du Louvre)

Le maréchal Pierre Chambard agit presque de la même manière. Sa chère et tendre reçoit le droit d’utiliser (« l’usufruit ») tous ses meubles, sa maison et ses parcelles de terre, jusqu’au jour où elle le rejoindra dans la tombe. Ainsi, le fils du forgeron et sa mère vivront-ils ensemble, l’un en tant que propriétaire, l’autre en tant qu’usufruitière, assurant à la veuve Chambard une retraite paisible et l’assurance d’être entourée durant ses vieux jours. Mais le 18e siècle a aussi ses harpagons ou ses couples désunis. A preuve, le bourgeois Antoine Saunier, l’un des plus riches habitants de Villeurbanne : dans son testament dicté en 1789, il ne donne à sa femme que l’usufruit d’une cuisine, d’une petite chambre et d’un coin de jardin - autrement dit, elle se trouvera réduite à un état de pauvreté. Mais revenons à notre maître maréchal, qui a à présent fini son testament. Il le signe d’une écriture mal assurée, et tend la plume à ses amis témoins pour qu’ils lui emboîtent le pas. Puis il se repose dans son lit, et attend que son heure vienne… Mais elle se fait attendre ! Ce n’est que trois ans plus tard, le 14 septembre 1764, que le curé de Villeurbanne porta en terre le forgeron du village, en précisant dans l’acte d’inhumation qu’il était « décédé hier subitement ».
« Considérant la certitude de la mort, et l’heure incertaine d’icelle » : cette formule si juste s’illustra une fois de plus .
 

Repères

18e s. avant J.-C. : le Code du roi babylonien Hammurabi évoque les questions d’héritage
1697 : Charles Perrault publie le conte du Chat Botté
1715-1774 : règne de  Louis XV
1748 : date du plus ancien registre notarié de Villeurbanne, tenu par maître Decomberousse
1774-1792 : règne de Louis XVI
1789-1791 : abolition du droit d’aînesse
1793-1794 : abolition des pratiques successorales d’Ancien Régime
1804 : le Code civil instaure nos pratiques moderne en matière d’héritage

Le conte du Chat Botté

Le meunier voyant sa dernière heure arriver, fit venir ses trois fils pour leur léguer ses biens. A l’aîné, il confia le moulin, à son cadet l’âne, et au troisième le chat. « Malheur », dit ce dernier, « Comment vais-je faire, avec ce matou, pour gagner ma vie ? » Mais le chat était doué de parole et rusé comme un singe. Grâce à lui, le plus jeune rejeton du meunier devint marquis de Carabas et épousa la fille du roi. Comme dans tous ses contes, Charles Perrault (1628-1703) s’est inspiré de la réalité : celle qui voulait que, en Dauphiné et dans la moitié sud de la France, les biens aillent à l’aîné de la famille et que les cadets ne reçoivent que des miettes. L’on appelait cette pratique successorale le « régime préciputaire ». Très injuste envers les cadets, ce régime les forçait souvent à émigrer, notamment vers des villes où ils pouvaient, avec un peu de chance, dépasser le niveau social de leur aîné, comme dans le Chat Botté. Le régime préciputaire a été aboli lors de la Révolution française.

« L'Ogre le reçut aussi civilement que le peut un ogre. » Le Maitre Chat ou Le Chat botté. Dessin de Gustave Doré, gravure sur bois d'Adolphe Pannemaker.

« L'Ogre le reçut aussi civilement que le peut un ogre. » Le Maitre Chat ou Le Chat botté. Dessin de Gustave Doré, gravure sur bois d'Adolphe Pannemaker.

Testament villeurbannais - 1749 (archives du Rize)

Testament villeurbannais - 1749 (archives du Rize)

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