L’HISTOIRE - Radio La Doua
1 octobre 2020
>> Photo : La vie-lyonnaise, 21-10-1922 (©DR)
Le 19 octobre 1922. Dans une petite salle encombrée du poste de télégraphie sans fil (TSF) de La Doua, trois musiciens s’apprêtent à jouer de leur instrument. La pianiste, le violoncelliste et le flutiste se positionnent en face de grands cônes reliés à une série de fils en guise de micros, puis se lancent dans leurs morceaux choisis. Et là, la magie opère. Pour la première fois dans l’histoire de la région lyonnaise, un concert est écouté à des centaines de kilomètres à la ronde : « Bien que l’installation soit encore sommaire, on a pu s’assurer que l’émission avait été parfaitement entendue notamment aux postes de réception de Nancy et de Marseille et du Locle (Suisse) ». Radio Lyon-La Doua vient de naître. Nous qui sommes aujourd’hui saturés de moyens de communication, avons du mal à imaginer le formidable progrès que représenta cette invention de la radio. Reléguant le télégraphe et le morse au rang d’antiquités, ce nouveau média permet de propulser la voix humaine ou la musique jusqu’à l’autre bout de la Terre, vers des foules innombrables d’auditeurs.
>> Photo : La vie-lyonnaise, 21-10-1922 (©DR)
Émettre des messages militaires
Villeurbanne monte très tôt dans ce train du progrès, puisque la première émission radiophonique française date d’à peine un an plus tôt, en novembre 1921, tandis que l’émetteur de la tour Eiffel n’est mis en service qu’en février 1922, seulement dix mois avant l’émission de La Doua. Cette ancêtre des radios lyonnaises est fille de la Première Guerre mondiale. C’est en effet en 1914, que l’Etat-Major décide d’installer à l’emplacement du campus actuel, une batterie de pylônes de 120 mètres de haut destinés à capter et à émettre les messages militaires. Si l’ennemi venait à bombarder ou à envahir Paris, l’émetteur de la tour Eiffel pourrait ainsi être remplacé. Puis la paix revenue, la station de La Doua et son matériel extrêmement puissant sont cédés aux PTT, ouvrant la voie à une utilisation civile et donc à la radio. Aux essais de 1922 succède en 1923 un fonctionnement plus régulier, mais les programmes offerts aux auditeurs s’avèrent encore bien maigrichons – à peine deux heures par jour, l’essentiel du temps d’antenne étant occupé par des relais des émissions parisiennes. La création d’une association des Amis de La Doua, et l’appui financier du maire de Lyon et président du Conseil, Edouard Herriot, apportent en 1925 les ressources nécessaires à son développement. Bientôt installée dans ses propres studios – quai Jules-Courmont puis cours Gambetta à Lyon, elle se perfectionne alors de jour en jour. Vous souhaitez l’écouter ? Achetez d’abord un bon poste de radio, comme ce « combiné LMT de qualité sans égale » : dans son beau meuble en bois, il vous coûtera 3000 francs – soit quand même plusieurs mois de salaire d’un ouvrier, mais le prix des postes baissera en dessous de 1000 francs au cours des années 1930. Une fois cette merveille installée à une place de choix dans votre cuisine ou au salon, ouvrez le journal pour connaître le programme. La diffusion commence à 6h50 et se poursuit jusqu’à 23 h. L’essentiel de la journée reste occupé par des retransmissions parisiennes, mais radio La Doua produit aussi ses propres émissions, principalement en soirée et tout au long du dimanche. Elles laissent une large place à la musique, pour laquelle la station dispose de son propre orchestre : dirigé par Jean Waersegers (1895-1938), il comptera jusqu’à 43 musiciens ! On transmet aussi des concerts donnés en direct par tel ou tel ensemble du sud-est de la France : comme ce 12 mai 1937, lorsque les Amis de la musique de Moulins donnent une messe solennelle de Beethoven pour solistes, chœur et orchestre. Régulièrement, des conférenciers sont invités à l’antenne, comme lors de ce « quart d’heure universitaire », qui voit défiler chaque semaine des personnalités aussi reconnues que les médecins Jules Courmont et Léon Bérard, le juriste André Philip ou le géographe André Allix : « C’est par Lyon-La Doua, souligne la presse, que pour la première fois le grand corps enseignant aura fait diffuser ses talents et fait profiter de nombreux auditeurs de leçons qui, jusqu’alors, étaient réservées à de rares élus ». Même l’archiviste de Villeurbanne, Louis Maynard, s’assoit derrière le micro, pour parler en 1934 des auberges de jeunesse et des belles vacances qu’elles promettent aux
« amateurs de larges horizons ». Cours de la bourse, météo, émission enfantine, moments comiques ont aussi voix au chapitre. Enfin, le sport n’est pas oublié, lui qui devient si populaire entre les deux guerres ; comme ce dimanche 21 mars 1937, qui voit un « radio-reportage du match de rugby à treize France contre Dominions », diffusé depuis le stade municipal de Lyon. Mais le plus grand moment de gloire de radio La Doua demeure le 15 juin 1932 : ce jour-là, l’alpiniste Roger Frison-Roche intervient en direct… du sommet du Mont-Blanc !
Par Alain Belmont
>> En-tête Amis de La Doua, 1935 (©DR)
Les souvenirs de cette belle aventure
Un siècle après les débuts de radio La Doua, les immenses pylônes qui, en touchant le ciel, permettaient de diffuser les émissions jusque dans la moindre ferme à l’autre bout de la France, ont disparu du paysage villeurbannais : ils ont été démontés en 1960, pour céder la place aux nouveaux bâtiments du campus, puis remontés à Saint-André-de-Corcy, dans l’Ain. Les souvenirs de cette belle aventure radiophonique n’ont pas pour autant complètement disparu. Au cœur de l’Insa, au bout de la bien-nommée rue de l’Emetteur, subsiste un grand bâtiment à plan en T, dans lequel on entre par une porte encadrée de pilastres digne d’un château ou d’une église baroque. C’est là qu’étaient abrités autrefois l’appareillage et le personnel de la station de TSF. Le signal provenant de l’antenne arrivait jusqu’à une tourelle que l’on aperçoit toujours au-dessus des toits. Cet élément du patrimoine villeurbannais accueille aujourd’hui le centre documentaire de l’Insa. n
Repères :
1886 : l’Allemand Heinrich Hertz découvre les ondes radio
1891 : l’Américain Nikola Tesla dépose un brevet de transmission sans fil (TSF)
1893 : le Russe Alexandre Popov découvre l’antenne
1895 : l’Italien Guglielmo Marconi réalise la première liaison radio
1919-1920 : premières émissions de radio en Europe et en Amérique du Nord
1922 : naissance de Radiola, première station radio privée en France
1923 : naissance de la BBC
1945 : la radio devient en France, un monopole d’Etat
1957 : installation de l’Insa à La Doua
1981 : fin du monopole d’Etat en France. Naissance des radios libres
>> Poste radio années 1930 (©DR)