L'HISTOIRE - Saint-Jean, le quartier né du Rhône
1 avril 2020
> Pont de Croix-Luizet (©Le Rize)
Il est un fils du Rhône. La grande boucle qui marque sa frontière d'avec Vaulx-en-Velin, reproduit le méandre que le fleuve dessinait à cet endroit au Moyen Âge. Villeurbanne avait alors un port, juste en contrebas de Cusset, et les bateaux passaient nombreux sur les eaux saint-jeannaises. Mais le Rhône, capricieux, opta pour un autre tracé. En 1325, lors d'une crue catastrophique, il déplaça son lit au nord de Vaulx-en-Velin. Le méandre devint un bras secondaire puis se mua en marais, sur lequel les Villeurbannais menèrent paître leurs troupeaux. Le fleuve n'en avait pas pour autant fini avec Saint-Jean. Il s'invita sur son territoire au moindre débordement, empêchant pendant longtemps toute habitation humaine. Saint-Jean et ses différents lieux-dits, l'île du Mens, En Iter, Les Ferratières, Le Derontay et Le Roulet, demeurèrent voués aux champs cultivés, aux prés et même à quelques vignes. En 1698, lorsqu'est rédigé le premier cadastre de Villeurbanne, ces parcelles appartiennent à une multitude de petits propriétaires, 35 en tout, pour la plupart paysans de Villeurbanne, ainsi qu'à la commune elle-même, détentrice des marais de l'ancien méandre. L'on trouve aussi quelques notables à la tête de plus vastes terrains, comme le seigneur de Vaulx-en-Velin ou M. Decerf du Croze, et surtout les chanoines de la cathédrale Saint-Jean à Lyon, certainement à l'origine du nom du quartier. Un siècle plus tard, en 1812, le tableau reste le même, la noblesse et l'Eglise ayant seulement cédé leur place à des Villeurbannais cossus et à des bourgeois lyonnais.
Inondation de Saint-Jean en 1955 ©Marcelle Vallet coll Bib. Mun. Lyon
Crue dévastatrice
Arrive 1856, qui marque une rupture dans l'histoire de ces lieux. Cette année-là, une crue dévastatrice noie sous les eaux toutes les parties basses de Villeurbanne, ainsi que La Guillotière et Les Brotteaux. Les dégâts sont considérables, les maisons détruites se comptant par centaines. Pour éviter une pareille catastrophe, l'Etat construit une énorme digue, située aujourd'hui sous le boulevard Laurent-Bonnevay. Partant de Cusset, cette digue part en ligne droite vers La Doua, en laissant Saint-Jean à l'extérieur de son emprise. Le quartier se retrouve ainsi coupé du reste de la commune. Le creusement du canal de Jonage, entre 1894 et 1899, accentue encore son isolement. Du coup, Saint-Jean devient un territoire à part, qui maintient sa tradition agricole alors que, partout ailleurs, Villeurbanne s'urbanise : en 1951, le fermier Cyrille Gaillard y mène encore paître ses bêtes, sur des parcelles louées à la commune.
Les nombreux terrains disponibles, et surtout moins chers qu'ailleurs du fait du risque d'inondations, finissent néanmoins par attirer des constructions. A partir de la fin du 19e siècle et surtout entre les deux guerres mondiales, des maisons individuelles sortent de terre, essentiellement destinées à une population modeste. Le mouvement commence au nord de Saint-Jean, près de l'avenue Salengro, et gagne peu à peu le sud de l'ancien méandre. En 1927, l'urbanisation du quartier étant désormais bien esquissée, les habitants et le conseil municipal en baptisent les rues. Fleurit alors un florilège de noms respirant la campagne et une certaine joie de vivre : chemin des Grenouilles, rues Tranquille, Mimi Pinson, des Bons Amis, de la Promenade, de l'Epi de Blé, des Libellules, et même rue du Travail Content. Le nouveau quartier a trouvé son identité.
Saint-Jean, route de Vaulx, vers 1930-40 (© Le Rize)
Si seulement le Rhône le laissait tranquille... Maintes fois, il joue les trouble-fête : en 1910, 1918, 1920, 1928, 1936, 1944, 1950, 1955. Dans le meilleur des cas, les habitants s'en tirent avec les pieds dans l'eau. Mais lors des crues plus sévères, le fleuve envahit leurs maisons, et nécessite l'intervention des barques de sauvetage pour éviter la noyade. En 1946, la population excédée constitue une association syndicale "pour la défense du quartier Saint-Jean contre les inondations du Rhône", à laquelle la Ville adhère aussitôt. La solution au problème est connue, il suffirait de construire une digue en rive droite du canal de Jonage, le long de Vaulx-en-Velin et de Saint-Jean. Décidé en 1951, l'ouvrage est édifié dans la foulée et prouve très vite son efficacité : lors de la crue du 26 février 1957, pour la première fois les Saint-jeannais sont épargnés. A présent, plus rien ne s'oppose à la densification du quartier. En 1956, l'on vote la construction d'un groupe scolaire de six classes « de façon à répondre à l'accroissement prévu de la population », tandis qu'en 1966, "pour lutter contre la crise du logement", l'Office public d'HLM de Villeurbanne lance la réalisation de 494 appartements. En 1975, le quartier compte près de 5000 habitants, logés notamment dans les tours des bords du canal de Jonage. A présent mélange d'habitat collectif, de maisons individuelles, d'espaces industriels et de jardins ouvriers, Saint-Jean n'en garde pas moins les traces de l'ancien méandre. 700 ans après son départ, le Rhône n'a pas oublié le quartier né dans ses bras.
Plan de Saint-Jean 1823 (©DR)
Sources : Archives de Villeurbanne (Le Rize), parcellaire de 1698 ; plan cadastral et matrices de 1812 ; 1 D 276 à 294 (délibérations municipales, 1927-1966) ; 6 Fi 4 et 15 ; Journal La Voix du Peuple (28/5/1937) ; magazine "Saint-Jean, votre quartier". M. C. Guigue, Cartulaire Lyonnais, Lyon, 1885, t. 1, p. 360 (vente de 1234). Remerciements à D. Grard, pour son aide précieuse.
Repères
- 1234 : d'après certains auteurs, première mention de Saint-Jean dans les textes. Il s'agit d'une erreur
- 1325 : Villeurbanne est rattachée à la principauté du Dauphiné
- 1830 : construction d'une digue en terre englobant Saint-Jean
- 1885-1887 : construction d'un rempart longeant l'ouest de Saint-Jean, de Cusset à La Feyssine
- 1899 : la Société des Forces Motrices du Rhône inaugure le barrage de Cusset
- 1931 : début de la construction du boulevard Laurent-Bonnevay
- 1935 : création d'une garderie d'enfants à Saint-Jean
- 1937 : exhaussement de l'avenue Salengro, pour la protéger des inondations
- 1977 : le maire Charles Hernu lance une campagne de réhabilitation du quartier
- 1978 : ouverture du collège Jean-Vilar
- 1981 : inauguration du stade Marie-Thérèse-Eyquem
- 1982 : inauguration du centre social de Saint-Jean
Un circuit automobile à Saint-Jean ?
Mai 1937. Profitant de la présence à un vin d'honneur de sommités politiques – Edouard Herriot, président de la chambre des députés, Alfred Jules-Julien, secrétaire d'Etat à l'Enseignement, un député et des élus de la municipalité –, le vice-président d'un comité d'intérêt local, Emile Guiraud, interpelle l'assemblée : il propose, plans en mains, de créer un "autodrome" à Saint-Jean, autrement dit un circuit de course automobile. Les sports motorisés remportent alors un grand succès populaire. En 1922, l'autodrome de Monza voit le jour près de Milan, suivi deux ans plus tard par le circuit de Montlhéry, en région parisienne, puis par le circuit allemand du Nürburgring, en 1927. Appuyé par l'Automobile Club du Rhône, le projet est présenté en conseil municipal de Villeurbanne le 25 janvier 1938. Les élus applaudissent des deux mains, et proposent de mettre les marais communaux à la disposition des organisateurs... à condition que l'aménagement ne leur coûte pas un centime. Hélas, la Seconde Guerre mondiale met un terme à ces rêves de vitesse. Dommage. Qui sait, Saint-Jean aurait peut-être atteint la même notoriété que Le Mans ou Indianapolis.
Par Alain Belmont, historien