Flachet : de l’homme politique au quartier

A Villeurbanne, tout le monde connaît Flachet. Station de métro, quartier, rue : les repères ne manquent pas pour désigner cet espace à cheval sur le cours Emile-Zola, à mi-chemin des Gratte-Ciel et de Cusset. Mais qui connaît Monsieur Flachet ?
Flachet : de l’homme politique au quartier

Bien malin celui qui trouvera sur internet l’homme à l’origine d’un tel honneur dans notre ville. Alors, pour répondre à la question, nous sommes partis à la recherche de cet inconnu, à travers les vieux papiers hérités du passé. Et nous l’avons trouvé. En commençant par une fausse piste. Non, Joseph Flachet, ainsi qu’il se nommait, n’était pas ce glorieux capitaine lyonnais, décoré de la Légion d’Honneur et enterré à Vienne en 1941. Bien plus modestement, « notre » Flachet était né à Caluire-et-Cuire, en 1833, de parents blanchisseurs. Ils lavaient le linge sale de leurs concitoyens en gagnant trois fois rien, après une dure journée de labeur.

Devenu adulte, Joseph Flachet effectue un saut de puce dans la hiérarchie sociale en devenant artisan menuisier. C’est sous ce tablier qu’il s’établit à Villeurbanne, et qu’il s’y marie en 1859, avec une tisseuse de soie nommée Antoinette Biguet. La belle lui apporte en dot son métier à tisser, des meubles et un pécule de 200 francs. Flachet lui, ne dispose que de quelques vêtements et d’à peine plus d’argent. Mais l’homme a des mains d’or, et se fait bientôt connaître pour sa virtuosité à travailler le bois. Et pour ne rien gâcher, il a des idées politiques avancées, marquées du sceau de la générosité et des valeurs de la République.

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"Il donne son avis d’expert pour le moindre équipement municipal en cours de création."
Ce sont ces qualités qui lui valent d’entrer au Conseil municipal en 1878, dans l’équipe de Jean-Marie Dedieu, un grand maire dans l’histoire de Villeurbanne. Il est aussitôt bombardé adjoint, à une époque où notre ville n’en compte que deux. C’est donc Joseph Flachet qui remplace le maire en son absence, lui qui préside certains conseils municipaux, qui est parfois l’interlocuteur du préfet, et qui intervient comme officier de l’Etat-civil, lors des mariages, des enterrements et des déclarations de naissance. Surtout, on l’apprécie pour ses compétences professionnelles. Compter un homme de l’art à une époque où Villeurbanne se mue en ville et multiplie les chantiers officiels, se révèle un atout très précieux. On le retrouve donc tout naturellement dans la commission des travaux publics, où il donne son avis d’expert pour le moindre équipement municipal en cours de création, depuis les groupes scolaires jusqu’aux concessions du cimetière, en passant par le tracé des voies nouvelles que l’on perce à travers la campagne. Un exemple ? A partir de février 1878, Joseph Flachet s’affaire à transformer en rue le chemin de Sautin aboutissant à la place Grandclément ; un chantier qui va l’occuper plusieurs années et susciter une vive opposition des riverains. Mais pierre après pierre, notre homme fait son chemin. Jamais absent des séances du conseil municipal, il prend une place de plus en plus importante et est à nouveau nommé premier adjoint lors des renouvellements de la municipalité. Après Jean-Marie Dedieu (1878-1888), le maire Jean-François Barnoud (1888-1892) lui accorde sa confiance. Auprès de l’un comme de l’autre, Flachet agit comme un bras droit, contribuant par son action à créer le Villeurbanne qui nous entoure aujourd’hui. Mais il n’hésite pas à s’opposer à certaines décisions lorsqu’elles lui paraissent injustes – comme lorsqu’il appelle les élus à reconsidérer leur refus d’accorder une aide financière à un invalide sans le sou. « Ce serait un acte d’humanité », dit-il au Conseil.

Pourtant, cet édile de premier plan n’a pas que des amis. Lors des élections municipales de 1892, certains Villeurbannais rayent d’un trait rageur son nom sur le bulletin de vote, allant jusqu’à le traiter de « Joseph Têtard, marchand de cuirs(1)», ou de l’accuser de s’être « trot engraissés sur les côtes de la commune ». A quelques dizaines de voix près, Flachet perd ces élections, tandis que l’équipe de Frédéric Faÿs emporte la mairie. Une nouvelle ère commence, résolument à gauche de l’échiquier politique. Joseph Flachet ne survit pas longtemps à sa défaite. Il meurt le 13 août 1893 dans son domicile du cours Vitton, à l’âge de 60 ans. Dix ans plus tard, en 1903, le maire Emile Dunière propose de donner son nom à une rue, « afin de perpétuer [son] souvenir ». Ce sera celle du chemin de Sautin, qu’il avait lui-même créée. Une artère qui fut plus tard rebaptisée dans sa partie sud en « rue du Premier Mars 1943 », pour commémorer la rafle effectuée par les nazis ce jour-là, mais qui porte toujours le nom de l’ancien adjoint dans sa partie nord. Quant à la station de métro, elle prit le nom de la rue la plus proche au moment de l’inauguration de la ligne A, en 1978. Le quartier Flachet était né.

Rubrique écrite par l'historien Alain Belmont.

(1)Né à Caluire-et-Cuire, certains électeurs lui reprochaient de ne pas être Villeurbannais.

« Où sont-ils nos beaux peupliers ? »
La transformation du chemin de Sautin en rue Flachet rendit certains Villeurbannais nostalgiques, car elle incarnait la mutation de leur ancien village en ville industrielle. La preuve, ce poème publié en 1892 dans un journal local. Extraits : « Hélas ! où sont-ils nos beaux peupliers du chemin Sautin ? La hache fatale les a couchés tous comme des guerriers. On ne verra plus leurs faîtes altiers cacher le croissant de la lune pâle… Que sont devenus les buissons de ronces ? Les saules d’argent, plantés par milliers ? Nos prés familiers ? Quand vous passerez par-là, jeunes filles, vous vous souviendrez lorsque vous alliez cueillir les bleuets, puis sous les charmilles, chercher l’amoureux. (…) Que sont devenus nos buissons d’épines ? Ils n’existent plus… et des ouvriers ont élevé là de sombres usines… Seuls, nos souvenirs se sont oubliés, mais de nos amours ont voit les ruines. Hélas ! où sont-ils nos beaux peupliers ? »

Repères
1830-1848 : règne de Louis-Philippe, roi des Français
1870-1940 : IIIe République
1872 : Villeurbanne compte 9 033 habitants
1878 : le maire Dedieu décide de construire les premiers groupes scolaires de Villeurbanne
1880-81 et 1883-85 : Jules Ferry, président du Conseil (1er ministre)
1881-1885 : conquête du Tonkin, au nord du Viêt-Nam, donnant son nom à une partie de Villeurbanne
1894 : début de l’affaire Dreyfus
1896 : Villeurbanne compte 21 714 habitants

 

> Sources : Archives du Rhône, 3 E 34329 (11/12/1859), 3 M 1660, PER 907/1 (Journal Le Villeurbannais, 17/9/1892). Archives municipales de Villeurbanne (Le Rize), 1 E 30 et 56, et 1 D 266 à 272.

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