L’HISTOIRE - Un pionnier de l’aviation s’élance sur La Doua
1 septembre 2021
Les premiers vols au grand camp (© DR)
Mercredi 15 mai 1907, vers 16 heures. Les pelouses du terrain militaire du Grand-Camp, à l’emplacement du campus actuel de La Doua, accueillent une foule de curieux, civils et soldats confondus. La raison de leur présence ici ? L’endroit, habituellement voué à l’entraînement des troupes encasernées à La Part-Dieu, va servir de piste de décollage à un drôle d’aéroplane, construit par un certain Edmond Seux. Avec ses ailes de 10 mètres d’envergure, moitié convexes, moitié concaves, sa carlingue cubique en tubes d’acier accueillant le pilote et le moteur – un Anzani de 35 chevaux -, sans oublier ses quatre roues semblables à des roues de vélo, cet oiseau mécanique ressemble plus à un mikado fragile qu’à un de nos avions de tourisme du 21e siècle. Pourtant, Edmond Seux a mis tout son savoir-faire pour construire cet engin. Son aéroplane possède deux gouvernails, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière, qui faciliteront son ascension lorsque les deux hélices propulseront ses 450 kilos dans les airs.
A présent, Edmond Seux prend place sur le siège du pilote. Il lui faut un sacré courage pour courir de tels risques, car l’aviation est encore à cette époque une activité balbutiante. Cela fait à peine trois ans et demi que les frères Orville et Wilbur Wright ont réussi pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, à faire voler un avion à moteur. L’heure est maintenant venue pour la région lyonnaise de s’inviter à son tour dans la grande aventure. L’on démarre le moteur, les hélices tournent, et c’est parti !
Fils d’un marchand de tissus, « Jean Baptiste Régis Edmond » Seux nait le 27 mai 1869 à Annonay. L’aisance financière est au rendez-vous chez les Seux, de même qu’une éducation relativement poussée. Devenu adulte, Edmond s’établit à Lyon, rue Vaubecour, où il exerce la profession de représentant de commerce. Mais il n’a d’yeux que pour sa passion, la conquête du ciel. Ayant intégré l’Aéro-club du Rhône, il consacre son temps libre à inventer un système permettant aux ballons de naviguer dans les airs sans être soumis aux caprices du vent. Miracle, clame le journal Lyon-Sport qui, en décembre 1902, publie l’information en une et bombarde Edmond Seux inventeur d’un « vrai dirigeable ».
Puis, abandonnant les ballons, il se tourne vers les aéroplanes, multipliant les essais de petits planeurs afin d’en étudier le vol, et s’inspirant dans ses travaux des aptitudes des oiseaux : « A Lyon, écrit-il en janvier 1907, nous avons tous les jours devant nos yeux des modèles d’aéroplanes : il n’y a pour ainsi dire, qu’à copier une de ces charmantes mouettes qui planent au-dessus du Rhône ». Ainsi, l’avion des pelouses villeurbannaises est-il la reproduction motorisée de ses volatiles préférés. Le voici qui, maintenant, s’élance sur l’herbe du Grand-Camp. En quelques mètres, il atteint une vitesse de 30 km/heure. Mais une roue casse. On la change. L’avion repart, encore plus vite ; les roues avant décollent « et l’appareil semble-t-il, va quitter le sol ». Mais patatras, il fait brusquement demi-tour et se retourne vers les spectateurs, tandis que Seux arrête le moteur. Une hélice vient de toucher la pelouse et s’est brisée. D’autres essais ultérieurs resteront eux aussi sans succès.
Notre aviateur ne se décourage pas pour autant. Alors qu’il multiplie les articles sur le sujet, il s’associe au printemps 1908 avec un industriel villeurbannais, Pierre Roesch, et fonde une fabrique d’aéroplanes implantée 3 avenue du Grand-Camp (boulevard du 11-novembre-1918), à 100 mètres du terrain militaire. C’est là qu’il met au point un nouvel appareil, un biplan cette fois, bien plus semblable aux formes actuelles d’un avion. Hélas, son nouvel aéroplane « ne s’éleva jamais ». Dès lors, le sort s’acharne sur Edmond Seux. Ayant englouti toute sa fortune dans sa quête du ciel, il s’endette, est poursuivi sans relâche par ses créanciers. Désespéré, Seux se suicide en novembre 1909, en se jetant dans le Rhône. Au Grand-Camp, ce pionnier n’avait pas pu voler. Mais par son exemple, il donna des ailes à tous ses successeurs.
La semaine d’aviation de Villeurbanne
L'aéroplane d'Edmond Seux au Grand Camp en mai 1907 (©DR)
A quelques mois près, Edmond Seux aurait pu passer de l’échec à la réussite. Ainsi dans les jours précédant son décès, Henri Farman parvenait à voler pendant quatre heures d’affilée et sur 232 kilomètres. Les ailes étaient prêtes pour tous les concours possibles et imaginables. Ce que fit l’Aéro-club du Rhône, en organisant à Villeurbanne, dans le quartier des Brosses, un Grand Prix d’aviation en mai 1910. Pendant une huitaine de jours, 15 avions dont un Blériot XI, un Voisin, un Antoinette
et même un Wright, rivalisèrent d’audace devant une foule d’au moins 100.000 personnes. « Que sera l’aéroplane dans cinq ans ? », avait demandé un journal parisien en juillet 1909. Edmond Seux annonça dans sa réponse des vitesses de 100 km/h, des « aérobus de ville, des Compagnies genre transatlantique ». L’histoire allait lui donner raison.
Ecoutez cet épisode en podcast :
Repères
— 1783 : premier vol d’une montgolfière embarquant des hommes, près de Paris
— 1784 : premier vol d’une montgolfière à Lyon
— 1903 : premier vol réussi d’un avion à moteur, par les frères Wright
— 1906 : premier vol d’un avion à moteur en France, par Alberto Santos-Dumont
— 1908 : Armand Zipfel réussit à s’envoler depuis
le Grand-Camp
— 1908 : la Française Thérèse Peltier devient la première femme à piloter un avion
— 1909 : Louis Blériot traverse la Manche
— 1910 : création de l’aéroport de Lyon, à Bron
— 1910 : le Péruvien Jorge Chavez effectue la traversée des Alpes
— 1927 : Charles Lindbergh traverse l’Atlantique
— 1928 : les Français Costes et Le Brix effectuent un tour du monde en avion
— 1932 : l’Américaine Amelia Earhart traverse l’Atlantique en solo
— 1975 : inauguration du nouvel aéroport de Lyon-Satolas
Par Alain Belmont, historien