La Feyssine avant le parc

Ses flots de verdure descendent jusqu’au Rhône, formant un mariage réussi entre la ville et la nature. Mais le parc de la Feyssine a-t-il toujours eu cette allure ? Non, loin de là.
La Feyssine avant le parc

Carte de la Feyssine en 1755.

Le temps a recouvert le très vieux registre d’une couleur ambrée, qui le ferait presque ressembler à un whisky tourbé. Ce « parcellaire », ancêtre de notre cadastre, date de 1698 et renferme les plus anciennes descriptions de Villeurbanne et de ses paysages. Presque à la fin de ses pages, voici qu’apparaissent les communaux « des Batties » et, un peu plus au nord, ceux « de Charnevo », dont les 65 hectares jouxtent « le fleuve du Rosne ». Batties et Charnevo : c’est ainsi que se nomme, à l’époque, le territoire du parc de la Feyssine. Il appartient alors aux habitants de Villeurbanne, qui le possèdent en commun et peuvent librement y mener paître leurs vaches et leurs moutons. L’on y coupe aussi des arbres, comme dans tous les « brotteaux » bordant le cours du Rhône. Avoisinant les communaux, à l’emplacement des rues actuelles du Capitaine-Ferber et Rouget-de-Lisle, se trouvent les terres cultivées du sieur Antoine Pommier. Ce bourgeois possède l’un des plus beaux domaines du village, doté d’un colombier et même d’une chapelle. Il a aussi moult champs de blé – dont quatre situés « a la Fessine ». Voici notre parc nommé. Et le voici déjà grignoté pour les besoins de l’agriculture.

Et ce n’est que le début. Une centaine d’années plus tard, vers 1770, les administrateurs de l’Hôtel-Dieu font construire à la Feyssine deux bâtiments et surtout un grand four à chaux, afin d’alimenter les chantiers de construction de Lyon. Une gravure le représente en 1834, dégageant une grosse colonne de fumée qui s’élève haut dans le ciel, tandis que des bateaux sont amarrés tout proche, déversant des pierres pour les besoins du four, et attendant leur chargement de chaux. On a aussi fait aménager un chemin de halage, barrant les îles du Rhône, allant tout droit pour que les chevaux puissent tirer les bateaux jusqu’au pied de l’usine. Pourtant, la nature a encore sa place dans ce qui est aujourd’hui notre parc : en 1792 le conseil municipal projette de transformer les communaux en plantations de saules et de peupliers. L’on y planterait 4000 arbres par an (!), tous alignés, séparés ici et là par des allées destinées à exploiter cette ressource, dont on espère qu’elle viendra enrichir les finances du village.

1856. La nature vient rappeler qu’ici c’est elle qui fait la loi. Une inondation catastrophique du Rhône recouvre le plus clair de Villeurbanne, des Brotteaux et de La Guillotière, détruisant au passage des floppées de maisons. Pour se protéger de pareil désastre, les autorités bâtissent une énorme digue qui, partant des Brotteaux et allant jusqu’à Cusset, sépare à tout jamais la Feyssine de la Doua. Au sud de la digue, peu à peu l’on bâtit : un hippodrome, une caserne, le Tonkin, Croix-Luizet. Et au nord ? Aussi. Malgré le risque de crues, une association de tir sportif, la STL, fait construire à partir de 1873 un stand de tir monumental, de 200 et bientôt 500 mètres de long, prenant en écharpe tout l’ouest du parc actuel. Il est rejoint, près du pont du chemin de fer, par un tir aux pigeons lui aussi monumental, où l’on canarde à tire-larigot les pauvres volatiles. Et ce n’est pas tout. En partie est de la Feyssine, poussent dans les années 1890 de drôles de champignons de pierre et de béton : les puits de captage de la Compagnie Générale des Eaux, qui drainent leur précieux liquide jusqu’au Transbordeur, en vue de sa distribution à Lyon. Le summum est atteint en cette fin du 19e siècle, lorsque les autorités militaires viennent construire, de 1885 à 1887, l’enceinte de la rive gauche du Rhône : un rempart de 11 kilomètres, allant jusqu’à Saint-Fons et débutant… à la Feyssine ! Bref, il n’en faudrait guère plus pour que ce coin de Villeurbanne devienne un quartier comme les autres. Ce qui fut à deux doigts d’arriver. Mais l’histoire en décida autrement.
Alain Belmont

De « Villa Urbana » à la Feyssine
La Feyssine faillit bien être totalement urbanisée. En effet, le maire Charles Hernu eut pour projet en 1989 de créer ici tout un quartier de Villeurbanne, qu’il avait baptisé « Villa Urbana », du nom latin de notre ville. Ainsi, la Feyssine aurait été le prolongement de la cité internationale de Lyon, à la fois technopôle et lieu d’habitation implanté en bordure du Rhône. Mais une levée de boucliers et le décès prématuré de Charles Hernu en 1990, mirent un terme au projet. Dès 1992, le maire Gilbert Chabroux présentait à la population sa volonté d’aménager les 45 hectares de la Feyssine en un grand parc. Les travaux commencèrent en janvier 2000 et furent terminés en 2002, sous le mandat de Jean-Paul Bret. Les Villeurbannais et les habitants de la métropole purent alors profiter de cet espace de verdure, un « parc naturel urbain », à présent plus proche de son état primitif qu’il ne l’a jamais été depuis deux siècles.

Le Rhône à hauteur de Villeurbanne en 1823.

Repères
1855 : présence d’une usine de produits chimiques à l’emplacement du four à chaux de la Feyssine
1920 : abandon de l’enceinte de la rive gauche du Rhône
1933 : aménagement de jardins ouvriers dans la partie est de la Feyssine
1938 : achèvement du boulevard périphérique sur la digue du Rhône
1954-1968 : présence d’un bidonville à la Feyssine : le Chaâba 
1976 : abandon du champ de captage de la Feyssine
1977-1990 : Charles Hernu maire de Villeurbanne
1990 : Villeurbanne compte 116.872 habitants
1990-1997 et 1998-2001 : Gilbert Chabroux maire de Villeurbanne
2001-2020 : Jean-Paul Bret maire de Villeurbanne

Le four à chaux de la Feyssine en 1834.

 

Sources : Archives de Villeurbanne (Le Rize), parcellaire de 1698, 1 D 260 et 264, 6 Fi 1056 et 1059, GG 5 à 7, etc. Bibliothèque municipale de Lyon, F 19 BAR 1173. 

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