Les tireurs du Grand-Camp

Au 19e et au début du 20e siècle, Villeurbanne fut le nec plus ultra pour les clubs de tir de l’agglomération lyonnaise.
Les tireurs du Grand-Camp

Le tir aux pigeons de la Feyssine, vers 1900-1910.

En ce 19e siècle finissant, les eaux du Rhône s’écoulent  le long de la Feyssine. Sur le chemin de la Digue, des promeneurs profitent du petit matin. Quand une détonation déchire l’air. Puis une autre, et encore, et encore, à s’en éclater les tympans. Les adhérents d’une association de tir viennent d’entamer les exercices de leur sport favori. Il y a longtemps déjà que des coups de feu retentissent dans cette partie de Villeurbanne. Dès 1791, les troupes lyonnaises prirent l’habitude de s’entraîner sur les prés situés aux abords du Rhône. Puis, en 1838, l’armée acheta à la commune l’espace actuel du campus de La Doua pour y aménager un terrain de manoeuvres pourvu de buttes de tir, et désormais baptisé « le Grand-Camp ». Mais c’est après 1870 que tout s’est accéléré. Cette année-là, la Prusse et ses alliés écrasèrent nos armées, envahirent une bonne partie du pays, puis annexèrent l’Alsace et la Lorraine. En réaction à cette lourde défaite, des associations de tir virent le jour un peu partout en France, mues par un intérêt sportif, mais aussi et surtout par la nécessité de former les futurs soldats au maniement des armes à feu : « Le but patriotique est évident », déclarèrent les premiers concernés, « et nous ne sommes pas assez éloignés de nos derniers désastres pour avoir oublié nos soldats improvisés, appelés à se servir d’armes qu’ils ignoraient complètement, et dont ils avaient plus peur que de celles de leurs ennemis ».

 

Concours de tir - Grand Camps en 1894

La première association créée dans l’agglomération lyonnaise est la Société de Tir de Lyon (STL). Autorisée par arrêté préfectoral le 18 octobre 1872, elle fut fondée par une vingtaine de Lyonnais ayant à leur tête Henri Bouvier puis un riche négociant, Maurice Chabrières-Arlès (1829-1897), par ailleurs trésorier-payeur général du département du Rhône et régent de la Banque de France. Le succès fut immédiat, au point que la STL put très vite louer à la ville de Lyon, propriétaire des terrains, 12 puis 24 hectares situés à l’emplacement du parc actuel de La Feyssine, afin d’y installer un stand de tir. Les travaux de construction démarrèrent dès février 1873 et, au prix d’un investissement de plus de 285 000 francs – une fortune -, furent terminés en une vingtaine d’années. Le stand s’avéra dès lors un des mieux équipés de France, et l’un des plus grands. Songez plutôt : vous étiez accueilli sur les bords du Rhône par un long portique aux immenses fenêtres, abritant tout le nécessaire pour choyer les adhérents de la Société, et d’où l’on accédait aux postes de tir. Alors, en position debout, ou à genoux, ou bien encore couché - la posture favorite des tireurs, vous pouviez viser l’une des cibles disposées dans les hangars du stand, à 100 mètres, 200, 300, 400 et jusqu’à 500 mètres de distance !  Juste en face, se trouvait   un autre édifice : le Tir aux pigeons. Reconnaissable à son chalet encadré par deux tours, il était loué par la STL à une entreprise permettant aux visiteurs du dimanche de tirer à faible distance, un peu comme dans une fête foraine.

 

Concours national de tir en 1904

Sitôt installée dans ses murs, la Société de Tir de Lyon fit des émules, et fut suivie en 1876 par la fondation de la Société des Tireurs du Rhône, puis en 1877 par la Société de Tir de l’Armée territoriale. Deux nouvelles associations qui implantèrent leurs stands… dans le quartier de La Doua et au Grand-Camp. Pourquoi une telle passion pour notre ville ? Villeurbanne offrait l’avantage de vastes espaces situés hors de Lyon et en même temps très proches de notre grande voisine, où habitaient la plupart des tireurs. Vous pouviez ainsi, si l’envie vous prenait, venir au stand tous les jours, de 7 h à 19 h, à condition toutefois de ne pas être « pris de boisson ». Des écoles de tir prodiguaient aussi des leçons, y compris aux élèves des lycées, avec un franc succès : en 1894, la seule Société de Tir de Lyon accueillit 936 élèves ! Et puis, périodiquement, les trois associations organisaient de grands concours de tir. Comme celui, national, de 1891, qui réunit près de 4000 tireurs. Et surtout comme celui, international, qui se déroula lors de la grande exposition universelle de Lyon, en 1894. Pour accueillir les inscrits venus de toute la France, de Hollande, de Belgique, de Suisse, des USA et même d’Argentine, l’on aménagea au Grand-Camp un stand de 150 mètres de large, précédé d’un superbe dôme semblable à celui de l’Hôtel-Dieu. Le tir villeurbannais atteignit alors son âge d’or.

Les vestiges des stands de tir

Si monumentaux qu’ils furent, les stands de tir villeurbannais ne résistèrent pas au temps. Le dôme Art nouveau et le stand du Grand-Camp servirent encore au 8e concours national de tir organisé en 1904, puis disparurent à la fin des années 1950, lors de l’aménagement du campus universitaire de La Doua. Implanté avenue Albert-Einstein, le stand des Tireurs du Rhône, long de 300 mètres, subit pour sa part la pression immobilière et céda la place à des maisons entre 1935 et 1947. Quant au stand de la Société de Tir de Lyon, devenu obsolète, il fut abandonné et détruit dans le même laps de temps. Il ne reste plus de lui que le canal qui le contournait, mué aujourd’hui en diapason du parc de la Feyssine. Demeure aussi de cet épisode de l’histoire du sport, l’une des buttes de l’ancien champ de tir du Grand-Camp. Ayant servi à fusiller des condamnés à mort lors de la Grande Guerre, puis des victimes du nazisme durant la Seconde Guerre mondiale, cette butte est à présent intégrée dans la Nécropole nationale de La Doua.

"Nous ne sommes pas assez éloignés de nos derniers désastres pour avoir oublié nos soldats improvisés, appelés à se servir d’armes qu’ils ignoraient complètement." - inconnu

 

Plan stands de tir de Villeurbanne en 1910. Cliché Le Rize

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Repères

- Vers le 7e s. : les Chinois inventent la poudre à canon
- 14e s. : premières mentions d’arquebuses en Europe
- 1622 : Louis XIII crée une compagnie de mousquetaires du roi, équipée de mousquets
-1836 : l’Américain Samuel Colt invente le révolver
- 1870-71 : guerre entre la France et la Prusse
- 1870 : instauration de la Troisième République
- 1887 : l’armée française adopte le fusil à répétition Lebel
- 1894 : assassinat du président Sadi Carnot lors de sa visite à l’exposition de Lyon
- 1896 : Villeurbanne compte 21 714 habitants
- 2022 : la Société de Tir Sportif de Lyon (ex STL) fête ses 150 ans d’existence

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