Lorsque l'enfant paraît

Comment se passait la naissance des enfants, chez les couples d'antan ? L'exemple d'une famille villeurbannaise du 18e siècle, nous livre la réponse.
Eglise Saint-Julien de Cusset

Eglise Saint-Julien de Cusset

Un an ! Les heureux parents n’auront pas patienté bien longtemps après leur mariage pour avoir leur premier enfant. Et en plus c’est un fils ! Le notaire Barthélémy Cochard, est aux anges. Ce 26 janvier 1755, sa femme Marie-Françoise Guichard vient d’accoucher d’un beau bébé. Exactement 362 jours après leurs épousailles ! C’était le 29 janvier 1754. Ils auront ce faisant attendu moins que la plupart des couples, qui en moyenne voyaient arriver leur premier-né après un an et demi de mariage. La sage-femme, elle aussi, a bien travaillé. Choisie parmi les vieilles femmes du village, ayant elle-même tant procréé qu’elle n’ignore plus rien des secrets de l’accouchement, elle s’est précipitée chez les Cochard dès que leur domestique est venu la mander. Sitôt l’enfant paru, elle l’a soigneusement langé, l’entourant de bandelettes comme une momie égyptienne. Puis, à peine quelques heures plus tard, on l’a porté à l’église de Cusset pour le faire baptiser. On ne sait jamais, si la mort venait soudainement l’emporter, il ne faudrait pas que son âme erre dans les limbes pour l’éternité, sans pouvoir se reposer. Tandis qu’une fois baptisé, s’il décède en bas-âge il montera directement au paradis.

Messire Claude Buer, le curé de Villeurbanne, n’a pas traîné non plus. Pensez, le notaire du village mérite bien des égards. Alors, il a ouvert en grand les portes de l’église, et accueilli avec joie la petite troupe qui se présentait à lui : le père du bébé, des amis du couple, et surtout le parrain et la marraine du petit. Comme il s’agit d’un premier-né, on a choisi pour le porter sur les fonts baptismaux, le grand-père paternel de l’enfant, Joseph Cochard, « bourgeois de cette paroisse », et sa grand-mère maternelle, dame Laurence-Marie Pasquet. Le choix des parrains et marraines ne doit rien au hasard. Perçus par l’église catholique comme des parents spirituels du nouveau-né, ils lui apporteront une aide précieuse si jamais il devenait orphelin. Aussi préfère-t-on souvent des personnes un tantinet aisées, c’est plus sûr. Et l’on crée du même coup un lien social entre le couple de parents et des gens en vue au village, dont on pourra toujours requérir assistance et protection si un souci survenait. Comment appellera-t-on ce bébé ? Du nom de son parrain si c’est un garçon, et du nom de sa marraine si c’est une fille. Les Cochard, eux, ont opté pour les deux à la fois : leur fils se prénommera Joseph-Marie, comme son grand-père et sa grand-mère. Et aussi comme le père et la mère du Christ. On ne peut faire plus chrétien ! Une fois le baptême passé, monsieur le curé a rédigé dans ses registres paroissiaux un bien bel acte de baptême : « L’an mil sept cent cinquante cinq et le vingt six janvier, j’ai baptisé Joseph Marie, fils légitime de maître Barthelemy Cochard » - et ainsi de suite, sur sept lignes, qui précédent tout un bouquet de signatures tracées à la plume.

Tout de suite après avoir été baptisé, le petit Joseph-Marie Cochard est confié à une nourrice habitant Bron. Pas question pour sa mère, une dame de la bonne société, de donner le sein à son enfant. L’allaitement maternel n’est pratiqué que par les femmes du peuple. Cette pratique de la mise en nourrice accentue la fertilité des couples. Résultat, à peine un an et demi après leur premier enfant, le 16 août 1756, les Cochard se retrouvent à nouveau parents, d’une fille prénommée Marie-Françoise, comme sa mère. Puis viendra un autre bébé en 1757, et un autre en 1759, et ainsi de suite. Alors qu’habituellement, les couples d’Ancien Régime voyaient naître un enfant tous les deux ans, chez les Cochard l’intervalle tombait souvent à un an. Résultat, ils eurent… neuf enfants ! Rien d’extraordinaire à l’époque, me direz-vous ? Pas du tout. La mort prématurée d’un des parents, l’infertilité ou la contraception, venaient réduire ce score, au point que les Français de la fin du 18e siècle n’avaient en moyenne que quatre à cinq enfants par couple. Dont seulement deux parvenaient à l’âge adulte… Les Cochard, si aisés qu’ils furent, n’échappèrent pas à la règle. Leur petit Joseph-Marie mourut à l’âge de dix jours, et seuls quatre de leurs neuf enfants vécurent assez longtemps pour se marier à leur tour, et permettre au cycle de la vie de poursuivre son cours.

 

L’HÉRITAGE DES ENFANTS DU PASSE

Les petits Villeurbannais des siècles passés nous parlent encore. D’eux, nous sont restés des milliers d’actes de baptêmes, soigneusement consignés par les curés du village dans leurs registres paroissiaux. Tenus en double exemplaires, ces registres se trouvent aujourd’hui au Rize et aux Archives départementales du Rhône (https://archives.rhone.fr/), où tout un chacun peut les consulter. Commençant en 1631, sous le règne de Louis XIII, ils se poursuivent jusqu’en 1792, année où ils cédèrent la place aux registres d’Etat-civil. Villeurbanne ayant accueilli au 18e siècle le temple protestant de Lyon, l’on peut aussi découvrir aux Archives municipales de Lyon, les baptêmes des petits protestants. Ainsi cet acte de février 1773 proclamant qu’est « né un fils naturel et légitime à sieur Etienne Delessert negotiant bourgeois des villes de Cossonay et d’Aubonne canton de Berne et de Geneve (…) habitans de la ville de Lyon il a ete baptisé le vingt huit du dit mois par nous Pierre Pierredon pasteur (…) et lui avons donné nom Jules Paul Benjamin ». Ce Benjamin Delessert baptisé à Villeurbanne, fut le fondateur de la Caisse d’Epargne.

 

Repères :

- 1715/1774 : règle du roi Louis XV
- 1755 : un tremblement de terre et un tsunami à Lisbonne font 50 000 à 100 000 morts
- 1755 : mort du philosophe Montesquieu
- 1755 : Jean-Jacques Rousseau publie son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
- 1755 : le contrebandier Louis Mandrin est exécuté à Valence
- 1756/1763 : guerre de Sept Ans, au cours de laquelle la France perd l'Amérique du Nord
- 1756 : une importante crue du Rhône noie la moitié nord de Villeurbanne
- 1765 : Villeurbanne compte 203 familles, soit environ 1 000 habitants
1815 : Nicolas Cochard, l'un des fils du notaire, publie un guide touristique sur Lyon aux élections municipales de Villeurbanne.

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