Sherlock Holmes à la cure
1 janvier 2023En ce lundi 24 mai 1762 le curé de Villeurbanne, messire Claude Buer, goûtait un repos bien mérité car, la veille, il avait dit la messe en l’église de Cusset. Mais des coups à la porte du presbytère, puis des cris, viennent interrompre le moment de détente qu’il s’était accordé. « Venez vite, messire curé, un homme se meurt ! ». Qui donc ? Il n’obtient pas de réponse. Et pour cause, l’homme en question n’est connu ni d’Eve ni d’Adam. Pauvre et vagabond, il est arrivé la veille à Villeurbanne, et vient d’être trouvé, inconscient, « auprès de l’enclos du domaine de Messieurs les Antonins situé dans cette paroisse », soit sur la rue du Quatre-Août actuelle. Notre curé gagne aussitôt les lieux, où un attroupement l’attend. D’évidence, le pauvre homme est tombé et s’est « meurtry de la chute ». Alors vite, des domestiques du domaine le portent dans une écurie. Mais « come il paroissoit très mal, on le voulut mettre dans un tombereau [une charrette] pour le conduire a l’hopital de Lyon, et en mesme temps il expira ». Monsieur le curé se désole. Il n’a même pas pu entendre le mourant en confession, et ne sait donc pas s’il était un bon chrétien. Va-t-il seulement pouvoir l’enterrer dans la terre sacrée du cimetière ? Face à ce dilemme, le prêtre se mue en enquêteur. Il recueille les indices, interroge les témoins, et consigne ses observations dans les registres de la paroisse. L’homme était vêtu d’une « robbe de sardis tirant sur le noir, culotte de toile, il avoit les cheveux moitié noirs moitié gris, la barbe rousse, sourcils noirs ». C’est toujours cela de pris, au cas où la famille de l’inconnu le chercherait à Villeurbanne dans les jours ou les semaines à venir. Puis l’on fouille ses poches. Et là, miracle, « on a trouvé sur luy un chapelet » : c’était donc un catholique pratiquant, qui disait ses prières. Rassuré, messire Buer procède à son inhumation quelques heures plus tard, en présence de « Jean Janin domestique du susdit domaine qui n’a signé pour ne savoir, et François Payet laboureur de cette paroisse ».
Au moins une fois par an, ou peu s’en faut, le curé de Villeurbanne s’improvise ainsi en Sherlock Holmes. Un enfant abandonné est-il trouvé au pied d’une croix, ou devant la porte d’une maison ? C’est lui que l’on court chercher, ainsi que les représentants de la justice seigneuriale. Comme ce jour de juin 1786, où un bébé est découvert « sur la croix de la Ferrandiere (…) avec un billet qui annonce qu’il a été baptisé et qu’on luy a donné le nom de Marin ». Fréquentes aussi, sont les découvertes de noyés, charriés par les eaux du Rhône puis déposés sur ses rives : ainsi en 1762, 1769, 1772, 1774, 1775 ou encore en 1779. A chaque fois, le prêtre et les représentants du seigneur enquêtent, fouillent les poches, décrivent le moindre détail qui permettrait de donner un nom aux infortunés auxquels le fleuve a ravi la vie. Et ces efforts payent. Ainsi en février 1774, après avoir « donné la sepulture ecclesiastique au corps d’un homme qui paroit âgé d’environ soixante dix ans et que l’on croit etre de la maison de la charité de Lyon (…), trouvé noyé sur ladite paroisse », le curé Franchet se met en relation avec l’hôpital de la Charité et finit par identifier le défunt : il se nommait « Claude Mion, suivant le certificat a nous adressé par messire Izeque, pretre et econome de ladite charité, [et était] âgé de septante sept ans ». Parfois même, notre curé n’hésite pas à aller bien plus loin que ce que l’on attend de lui. Le 21 novembre 1778, on lui amène le corps d’un enfant âgé d’environ dix mois, né de parents inconnus et décédé la veille. A qui donc était ce pauvre petit ? Le prêtre interroge sans relâche les témoins. Découvre la personne qui l’avait emmené à Villeurbanne : un prénommé « François, maitre chapelier demeurant a La Guillotière [et habitant] dans la maison du sieur Proz, maître boulanger audit lieu ». Revient à la charge, obtient le nom du chapelier en question – Miel -, et finit par découvrir l’identité de la famille du gone : il « avoit pour père François Russillon, marchand, [le témoin] n’ayant pu nous donner d’autres indices des qualité et de l’état de cet enfant ». L’énigme étant résolue, messire Franchet sermonna probablement le père du bébé. Puis il raconta l’affaire dans son registre, pour que les siècles à venir en soient témoins.
UNE SOMBRE AFFAIRE D'ASSASSINAT
En 1781, un prêtre de Villeurbanne rapporte un meurtre arrivé sur l’une des îles du Rhône. Extrait de ses registres : « Ce jourdhuy quinze octobre mil sept cent quatre vingt un, nous soussigné vicaire de Villeurbanne avons donné la sepulture ecclesiastique au corps d’un homme trouvé mort dans l’isle Chevaline dependante de notre paroisse, y ayant été reconnu par deux témoins Jean Payet et Pierre Mertier garde de ladite terre et habitant dudit lieu, ledit deffunt parroissant âgé d’environ dix sept ans cheveux chatin et courts et ayant été dépouillé entierement de tous ses habits et ayant reçu sur l’oeuil gauche un coup violent ainsi qu’un coup de couteau sur la nuque du col, ledit homme ayant été reconnu dans cette situation par les officiers de la jurisdiction d’apres le [procès] verbal fait par eux et l’ordonnance d’inhumation par eux a nous signifiée, aprez avoir demeuré environ quarante huit heures exposé sans quil ait été reconnu, personne n’ayant connaissance ni de son nom ni de son etat, nous avons dressé le present acte en presence de Jacques François Amblard procureur d’office de ladite terre, de Jean Payet garde de ladite terre et de plusieurs autres qui n’ont signé pour ne savoir ».
Repères :
- 1631 : date du plus ancien registre paroissial tenu par les curés de Villeurbanne
- 1715/1774 : règne du roi Louis XV
- 1749/1765 : Claude Buer est curé de Villeurbanne
- 1763 : fin de la guerre de Spet Ans. La France perd l'Amérique du Nord
- 1765 : Villeurbanne compte 800 à 1 000 habitants
- 1767/1787 : Messire Franchet est curé de Villeurbanne
- 1774/1792 : règne du roi Louis XVI
1776 : début de la guerre d'indépendance des États-Unis
- 1778 : mort de François-Marie Arouet dit Voltaire
- 1787/1793 : Pierre Dechastelus est curé de Villeurbanne
- 1792 : les registres paroissiaux cèdent la place aux registres d'Etat-Civil.