Vœux : Jean-Paul Bret célèbre "l’esprit particulier de Villeurbanne"
17 janvier 2020
La salle Raphaël-de-Barros était bondée, jeudi 16 janvier, à l'occasion des vœux de Jean-Paul Bret. Maire de Villeurbanne depuis 19 ans, il ne se réprésente pas aux élections municipales des 15 et 22 mars. Il a dressé le portrait d'une ville et de ses habitants, évoqué quelques-unes des réalisations qui lui ont tenu à cœur et formulé des vœux pour l'avenir. Voici en intégralité le texte de son discours.
"Mesdames et messieurs, chers Amis,
Ici-même, devant vous, à l’occasion des précédentes cérémonies de vœux, j’ai souvent fait référence à l’esprit particulier de Villeurbanne qui, depuis un siècle et demi, donne une image singulière à notre commune. Cette façon d’être autrement n’a pas été la même au fil des décennies. Elle s’est réinventée selon les périodes et les enjeux.
Mais ce goût de la différence a été porté et animé avec une telle permanence, qu’il a imprégné des générations d’élus, d’acteurs culturels, d’animateurs sportifs, de responsables associatifs, d’enseignants, de chercheurs et d’entrepreneurs. Beaucoup, y compris parmi les nouveaux habitants, témoignent de cette ambition « pas pareille » pour emprunter la signature des Invites, notre festival culturel et gratuit. Quel est le dénominateur commun à cette envie d’être différent par-delà les époques ? Comment engage-t-elle pour l’avenir ? Jusqu’où peut-elle aller ? Ce sont les questions auxquelles je voudrais répondre, ce soir, à l’aube de l’année 2020.
Villeurbanne, pour moi, c’est « la belle énergie populaire ». Voyez cette ville, notre ville qui, dès la fin du XVIIIe siècle, accueillait les Canuts pour qu’ils se réunissent, qu’ils organisent leur combat alors qu’ils étaient pourchassés par la police lyonnaise. Il y avait déjà à Villeurbanne le sens de l’accueil, de la main tendue aux plus modestes et une envie de conquêtes sociales. J’aime cette anecdote, prise dans une autre époque, car elle décrit à elle seule l’audace qui caractérise notre ville, cette belle énergie populaire sans cesse renouvelée.
La belle énergie populaire, c’est d’abord la solidarité. Et la solidarité, c’est le rapprochement du cœur et de la morale. La solidarité est le principe que s’applique un groupe, une communauté, une ville pour ne laisser personne au bord du chemin. Être maire enseigne que les chemins qui mènent à la fragilité et à la précarité sont nombreux, complexes, inattendus et qu’ils supposent des réponses multiples pour inclure chaque citoyen, chaque citoyenne, avec la seule et unique volonté de les aider à trouver leur place.
Ne laisser personne au bord du chemin, l’expression est un peu passée de mode, pour autant elle traduit bien l’inspiration qui prévaut depuis près d’un siècle et demi dans notre commune.
Nous vivons à une époque où l’on voudrait que la pauvreté soit un sujet secondaire, voire qu’elle pourrait être un choix ou encore qu’elle pourrait être une maladie atavique sans remède, par conséquent sans intérêt. Loin de faire reculer la pauvreté, cette vision la favorise au contraire parce qu’elle stigmatise bêtement, parce qu’elle en ignore les vraies raisons, parce qu’elle ne permet pas d’élaborer les bonnes solutions pour s’en sortir. J’insiste sur ce sujet car Villeurbanne est une ville où vivent des gens modestes.
Hier, parmi ceux qui arrivaient attirés par les usines et le travail qu’elle offrait, beaucoup avaient peu, beaucoup n’avaient rien, à l’image des migrants que nous accueillons aujourd’hui. Pour les équipes municipales successives, l’intégration des plus vulnérables est demeurée une constante. Cela a forcément influencé les politiques d’éducation, les actions pour la qualité de vie dans les logements et dans la ville, plus généralement les actions développant l’ancrage et la citoyenneté.
C’est pour cela que, depuis près d’un siècle, les enfants vont respirer le « bon air » à Chamagnieu, comme on le disait autrefois et que Villeurbanne s’est engagée avec passion sur la semaine scolaire de quatre jours et demi qui ouvre à tous les enfants des loisirs de qualité. C’est pour cela qu’avec des tarifs très bas dans le réseau des médiathèques, la connaissance est accessible au plus grand nombre. C’est pour cela que la Ville organise des ateliers d’accès au numérique pour que les personnes éloignées du monde digital se familiarisent avec ses outils et ses pratiques.
C’est pour cela qu’avec 26% de logements sociaux notre ville retient les familles modestes plutôt que de les repousser à la périphérie de la métropole. L’idée selon laquelle il faudrait des entreprises à la place de l’habitat social n’a pas de sens. Le sujet n’est pas de jouer l’emploi contre le logement, mais de rechercher les deux, dans une vision harmonieuse et équilibrée du développement urbain.Je formule le vœu que cette solidarité soit défendue demain, pour qu’aucune famille, aucun enfant, ne soient obligés d’aller voir ailleurs parce que là-bas les services y seront moins chers.
La belle énergie populaire, c’est aussi l’imagination. Tout le monde a le mot innovation à la bouche. L’imagination est plus inspirante. Elle est ce qui bouscule, ce qui brise les plafonds de verre, ce qui fait aller de l’avant. Dans une ville comme la nôtre, l’imagination n’est pas une pensée nouvelle. Voyez les Gratte-Ciel qui nous élèvent par leur stature autant que par les idées qu’ils véhiculent. L’imagination n’est pas non plus le fait d’un seul ou de quelques-uns. Elle ne sert pas un groupe en particulier. Elle est un mécanisme créatif collectif. Imaginer ensemble est devenu une culture commune.
Elle se partage, elle se transmet, elle s’entretient, grâce aux dispositifs municipaux de démocratie participative par exemple, mais aussi par une aspiration profonde et propre. Construire des Gratte-Ciel, concevoir 40 ans avant tout le monde l’association Viff pour protéger les femmes victimes de violence, c’est l’imagination. Et l’imagination, se concrétise aussi au Rize, le Centre Mémoires et Société, où ceux qui sont sans héritage, dont l’histoire est restée quelque part — parfois loin d’ici —retrouvent une mémoire et par conséquent un lien, une reconnaissance, une dignité. C’est aussi l’université qui fait corps avec la ville afin qu’elle l’irrigue des savoirs qu’elle produit.
L’imagination, c’est l’arme des pacifistes contre le sentiment d’impuissance auquel nous renvoie cet inquiétant « monde mondialisé ». Prenons ces grandes plateformes d’achat du numérique qui sont des fossoyeurs des centres-villes. Il faudra demain de l’imagination pour maintenir les commerces dans le cœur des quartiers. On nous dit que les soldes d’hiver consacrent Internet comme premier espace commercial, avec ce que cela génère de déshumanisation progressive de la relation, de déconsidération du produit, d’environnement désincarné. Ce risque, nous pourrions croire que le cœur de ville très actif de Villeurbanne en sera épargné. Ce serait illusoire car le mal se propage et qu’il demandera très vite des actes de résistance, parce que partout où il y a du petit commerce, il y a une belle qualité de vie.
De l’imagination, il en faudra absolument pour lutter contre le réchauffement climatique si nous ne voulons pas d’un scénario que les pires romans de science-fiction ont à peine ébauché. Tout est à inventer, tous les chemins sont à emprunter, pour rendre les villes vivables et pour faire que les populations les plus modestes puissent elles aussi s’organiser et respirer. Les défis environnementaux et climatiques ne seront relevés qu’à la condition de mettre la réduction des inégalités au cœur de la politique et au cœur de l’action publique.
La belle énergie populaire, c’est aussi l’exigence.
J’ai toujours tenté de conjuguer deux ambitions. Apporter le meilleur sur les sujets de proximité : de beaux matériaux, de beaux édifices, mais aussi apporter le meilleur à ceux qui ont moins, apporter l’excellence dans la proximité. C’est pourquoi il y a une maison du livre, de l’image et du son, une école nationale de musique, un institut d’art contemporain et un Théâtre national populaire à Villeurbanne.
C’est pourquoi aussi il y a des œuvres artistiques dans la ville, comme le rond-point de Patrick Reynaud aux Buers qui emmènent vers toutes les grandes villes du monde plutôt que d’enfermer dans un quartier. Ces objets soulèvent parfois des questions.
Tant mieux, s’ils font parler, s’ils suscitent le débat sur l’art. Car ce débat n’est pas le fait de quelques intéressés, dans un espace spécialisé. Il est dans la rue avec tous et il contribue ainsi à la démocratie.
Rien de tout cela n’aurait été possible dans une Métropole centralisée et centralisatrice qui, passant à la toise implacable les projets de la planification, aurait argué de la cohérence pour faciliter ici et interdire là. En portant le propos d’une Métropole autrement, Villeurbanne n’a pas parlé pour elle-seule. Elle s’est fait l’écho de toutes les communes qui ne sont pas Lyon. Evidemment, nous avons besoin d’une stratégie partagée sur le territoire métropolitain. Mais il est illusoire de croire qu’en agrégeant chacun de ces territoires, par obligation ou par le fait de quelques princes, un récit commun s’écrira, une pensée commune jaillira, une adhésion commune se profilera.
Je crois aux coopérations. Je crois aux différences de points de vue. Je crois en leur expression. La Métropole tirera sa force de ses complémentarités, de ses histoires particulières qui sauront s’unir dans une destinée commune. Elle comptera le jour où elle tiendra le citoyen en haute estime, considérant chacun avec bienveillance, jamais loin, toujours près, jamais dans la distance, toujours dans le partage.
Lorsque j’ai été élu maire en 2001, le siècle et le millénaire avaient un an. En vingt ans, le monde a changé à une vitesse inégalée dans l’histoire de l’humanité. En vingt ans, nous avons basculé dans le monde de la post-vérité où il ne suffit pas qu’une information soit juste pour être diffusée, il faut qu’elle rencontre un public. Devient vrai ce qui est partagé à l’infini même quand l’information est fausse.
En vingt ans, nous avons vu encore les solitudes s’amplifier et, ce faisant, nous avons vu les représentants politiques de plus en plus décriés, les partis politiques s’étioler, à cause de leur difficulté à s’adapter, à trouver de nouvelles solutions, à suivre la cadence imposée des néolibéralismes. L’obsolescence programmée, vieux procédé industriel pour amener à consommer plus, est devenue la règle. En politique, elle s’appelle « dégagisme ». Dans ce très grand bouleversement mondial, la proximité retrouve des lettres de noblesse. C’est dire si les élections municipales et métropolitaines des 15 et 22 mars sont cruciales. Une nouvelle page commencera à s’écrire.
En ce début d’année, qui ouvre sur une nouvelle décennie, je formule le vœu que les valeurs de Villeurbanne, que je viens d’énoncer et qui sont inscrites dans son histoire, dans son dessin urbain, dans chacun de ses quartiers, demeurent une source d’inspiration. J’espère qu’elles imprègneront fortement les futures réflexions et les aventures à venir.
Je terminerai mon propos avec trois attentions. La première est destinée aux élus qui, pendant les trois mandats successifs que j’ai animés, se sont investis et ont participé à la mise en œuvre des programmes municipaux. Exercer cette responsabilité au quotidien et en proximité apporte de grandes satisfactions. Elle demande de la patience, de la détermination et du courage. Que les élus, femmes et hommes, qui se sont engagés à mes côtés soient remerciés pour ce qu’ils ont accompli et pour les projets que nous avons portés ensemble.
La deuxième attention est destinée à vous toutes et tous, qui êtes l’âme, le cœur, l’énergie de Villeurbanne. Vous êtes, vous aussi, la belle énergie populaire. Gardez votre enthousiasme, continuez à escalader des montagnes, faites bouger des lignes, ne considérez aucun défi comme impossible. Soyez toutes et tous des Alexandra David-Neel qui, à 56 ans, était la première femme occidentale à entrer dans Lhassa, capitale du Tibet, après avoir traversé l’Himalaya. Nous avons donné son nom au nouveau complexe sportif des Gratte-Ciel, car son exploit lui a valu d’être élevée au rang des gloires du sport français. À vous toutes et tous, je redis ma gratitude et celle du conseil municipal.
La troisième attention est destinée à celles et ceux qui, en mars, seront désignés par les Villeurbannaises et les Villeurbannais pour les représenter au conseil municipal et au conseil métropolitain. Écoutez ce que Villeurbanne raconte. Écoutez ce qu’elle enseigne. Inspirez-vous de ses valeurs. Valeurs de solidarité. D’imagination. D’exigence. Alors vous incarnerez et vous donnerez de l’avenir à « la belle énergie populaire ».
Bonne et heureuse année à toutes et tous".