Conflit au Proche-Orient : la déclaration de Cédric Van Styvendael
13 novembre 2023
« Tout a commencé par la pire attaque survenue en Israël depuis sa création en 1948. Le 7 octobre dernier, des assaillants terroristes du Hamas traversent la frontière entre la bande de Gaza et l’Etat hébreu pour tuer près de 1200 personnes, pour la plupart des civils. 242 civils israéliens et étrangers sont pris en otage dans ce qui peut être qualifié de véritable « attentat-pogrom ».
Cette attaque sans précédent dans un des conflits les plus longs et les plus complexes de l’histoire moderne, par son ampleur et la barbarie des actes commis, représente pour les Israéliens un traumatisme et un tournant historique. A la hauteur de ce que les Américains ont vécu le 11 septembre 2001. Dans un niveau de sidération et d’effroi comparable à ce que les Parisiens et les Français ont ressenti il y a précisément 8 ans le 13 novembre 2015.
La riposte israélienne est lancée le jour même avec des bombardements aériens, le blocus de la bande de Gaza et des opérations au sol à partir du 13 octobre. Depuis cette date, 18 000 tonnes d’explosifs ont été largués sur la bande de Gaza, auxquels ont répondu près de 9 000 roquettes lancées depuis Gaza vers Israël.
Depuis le début de la riposte israélienne, on dénombre plus de 10 000 morts à Gaza dont près de la moitié seraient mineurs.
Plus de 100 humanitaires de l’ONU ont été tués dans les bombardements : enseignants, infirmières, personnels de soutien…
La punition collective appliquée à Gaza par l’armée israélienne au nom de la légitime défense produit des images insoutenables.
Hier encore, Le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a annoncé un nombre important de morts et de blessés dans le bombardement, samedi soir, de son siège situé dans la ville de Gaza. Ce dernier avait été évacué par ses employés et était désormais occupé par des centaines de déplacés palestiniens.
Au-delà des macabres bilans quotidiens, cette réaction militaire fait le lit des drames humains de demain dans la région. Comme le dit le Commissaire général de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, Philippe Lazzarini : « Raser des quartiers entiers n’est pas une réponse aux crimes odieux commis par le Hamas. Au contraire, cela crée une nouvelle génération de Palestiniens susceptibles de perpétuer le cycle de la violence ».
Les extrémistes ont gagné des deux côtés.
Face à cette situation, depuis la France, en tant qu’élu, toute position est jugée suspecte, toute opinion se voit assignée de prétendues intentions cachées.
Soutenir et dire notre solidarité inconditionnelle à nos concitoyens juifs comme nous avons pu le faire hier sur la place Bellecour où beaucoup d’entre vous étaient présents, ce serait être pro-Netanyahou ou minimiser les souffrances des Gazaouis.
Critiquer la politique du gouvernement israélien avant et après le 7 octobre, rappeler le contexte historique dans lequel le terrorisme prend racine, dire la colonisation des territoires palestiniens, ce serait être antisémite. Le piège se referme et chacun est forcé à choisir son camp de façon irrémédiable et sans nuance.
Barbara le disait en chanson : « Il est abominable d’avoir à choisir entre deux innocences. Car un enfant qui meurt au bout de vos fusils est un enfant qui meurt ».
Notre responsabilité d’élus, c’est d’abord de ne pas jouer avec les évidences, ni avec les mots, ni encore moins avec les fondements de notre République en se trouvant des prétextes.
Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de prétexte à l’antisémitisme.
Oui, l’antisémitisme est un poison dont l’humanité n’a pas trouvé l’antidote. Et dire aujourd’hui que le gouvernement israélien serait le premier responsable de la vague d’actes antisémites que connaît notre pays est indécent. C’est surtout passer à côté d’un mal beaucoup plus ancien, beaucoup plus enraciné, beaucoup plus sournois.
En 2023, le professeur d’une école juive de Villeurbanne peut encore recevoir dans sa boîte aux lettres ce type de courrier anonyme, je cite : « Cochonnerie de juifs, en 2023 plus aucune personne de cette merde sur terre. Nous allons vous exterminer une bonne fois pour toute. Et le monde sera en paix ». Ce courrier date de la semaine dernière.
Redire, répéter, ressasser ce qui devraient être des évidences, donc.
Notre responsabilité d’élus, c’est aussi de s’interdire toute parole qui entretient la tension, qui nourrit les clivages, qui attise le feu de tous les préjugés et de toutes les haines.
A l’heure où le ministre des affaires étrangères iranien déclare que l’extension de la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza est « désormais inévitable », tous les représentants politiques et tous ceux à qui on offre des tribunes devraient mesurer leur responsabilité et peser leurs mots.
C’est l’occasion pour moi de dire une nouvelle fois combien j’apprécie sur la mesure, la nuance et la retenue de tous les membres de cette assemblée sur ce sujet parmi les plus inflammables.
Au lieu d’essayer d’en tirer un quelconque parti électoral, notre salut collectif passe par le fait d’inciter les citoyens français, tous les citoyens, à dépasser leurs affections sélectives, voire exclusives, et à refuser les assignations identitaires. Et je dois vous dire que voir aujourd’hui les responsables de l’extrême-droite française, qui a fondé historiquement une partie de son identité sur un antisémitisme viscéral et criminel, se faire sans vergogne les défenseurs zélés des Juifs de France, est aussi sidérant que choquant.
En réalité, cette posture ne fait que servir leur entreprise de diabolisation d’autres Français. Ils se sont trouvés un autre ennemi de l’intérieur, dont vous connaissez le visage. Le tout pour alimenter une guerre de civilisation entre le monde judéo-chrétien et le monde arabo-musulman, guerre de civilisations dont les chaînes et les journaux financés par Vincent Bolloré se font l’écho quotidien. Exactement ce que veulent tous les régimes autoritaires et les dictatures arabes de la Turquie, de l’Iran et des terroristes du Hamas. Alors même que l’immense majorité des Français de confession musulmane ne manifeste aucun engagement explicite dans ce conflit.
Je disais dans mon discours de commémoration de l’armistice de la première guerre mondiale vendredi dernier que l’état de guerre semblant inhérent à la condition humaine, la paix était un combat de tous les instants et sur tous les terrains. Un combat à la fois perdu d’avance et indispensable. Ce combat commence par une exigence simple et quotidienne : admettre la pleine humanité de l’autre. Rappelons en effet que la déshumanisation de l’autre fut la méthode permettant de justifier moralement l’extermination du peuple juif. De sorte qu’on ne tue plus des humains, mais des animaux, des bêtes sauvages, de la vermine.
Erri de Luca écrivait : « Les invincibles ne sont pas ceux qui gagnent toujours mais ceux qui, même continuellement battus, ne se laissent pas décourager ».
Je souhaite qu’avec vous tous et ici à Villeurbanne, nous puissions continuer, inlassablement et fraternellement, à prendre notre part dans ce combat. »