« François Boursier : un prêtre de combat »

Vingt-quatre ans après la réalisation d’un mémoire sur l’abbé Boursier, l’historien villeurbannais Alain Moreau a repris ses recherches pour « trouver les chainons manquants », creuser les pistes qu’il n’avait pu approfondir à l’époque. Son objectif : écrire la biographie de ce personnage peu commun, ce « prêtre de combat », engagé dans la Résistance à 60 ans passés.
« François Boursier : un prêtre de combat »

Né en 1878, brancardier pendant la Première Guerre mondiale, curé-fondateur de la paroisse Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus, tué par les Nazis le 20 août 1944, François Boursier a quelque chose du personnage de roman. « C’était quelqu’un de très complexe, d’attachant, qui devait dégager beaucoup d’énergie », souligne Alain Moreau. De l’énergie, il en fallait pour célébrer plusieurs messes par jour, chercher des fonds pour construire l’église des Gratte-Ciel et concurrencer les œuvres sociales municipales. Activités musicales (« chanter c’est prier deux fois », disait-il), artistiques (théâtre et cinéma étaient parfois au programme dans la crypte de l’église), sportives, scolaires, charitables… l’abbé était partout. Et même dans les bistrots, au plus près des ouvriers.

L’abbé Boursier ©AMV/Le Rize

 L’abbé Boursier (©AMV/Le Rize)

Car, en 1919, lorsqu’il est nommé vicaire à la paroisse de la Nativité de Villeurbanne, François Boursier découvre une ville ouvrière et s’inquiète de la montée du communisme : « Il était proche des ouvriers mais avec l’idée de les reconquérir, de les ramener un jour ou l’autre dans le droit chemin », précise l’historien. Car les relations entre l’abbé et les ouvriers ont des airs parfois de Don Camillo, le curé leur refusant l’entrée de l’église en 1936 lorsqu’ils essaient d’y enterrer la grève. Mais comme en témoigne Louis Chaillol, 96 ans : « Le père Boursier était aimé des ouvriers. J’étais à l’inauguration de l’église, il y avait beaucoup d’ouvriers, qui n’allaient pas à la messe, mais pour le père Boursier, ils sont venus ».

L’abbé Boursier au milieu des ouvriers lors de la construction de l’église Sainte-Thérèse.

L’abbé Boursier au milieu des ouvriers lors de la construction de l’église Sainte-Thérèse.

Des ouvriers qui ont aussi contribué à forger sa légende et c’est ainsi qu’un incident le mettant en scène a été rapporté et transformé, à tel point que l’on ne connaît plus l’histoire d’origine. Un coup de poing mémorable parce qu’on s’était moqué de sa soutane, porté par le curé ici à deux jeunes, là à un ouvrier. « Ce coup de poing, on me l’a rapporté avec le curé à vélo, dans le tramway, le long d’une tranchée avec un ouvrier qui faisait "croa, croa"… », confirme amusé Alain Moreau. Ce qui est sûr, c’est que le curé en imposait. Sévère (il avait la gifle facile au catéchisme lorsque la leçon n’était pas sue), il n’en était pas moins respecté et aimé. Actif dans plusieurs mouvements de résistance, le prêtre imprime dans sa paroisse le Bulletin de la France combattante et aide le Père Chaillet à diffuser les Cahiers du Témoignage Chrétien. Entré au réseau Jove en décembre 1942, il héberge des agents de la Résistance et cache du matériel avec son frère Sylvain, agriculteur demeurant dans la ferme familiale de Saint-Laurent-du-Pont et qui sera arrêté trois jours après François Boursier.
« Son engagement dans la Résistance était patriotique, un engagement en écho à la guerre de 14-18, anti Allemands, précise Alain Moreau. C’est paradoxal parce que l’évêque dont il dépendait était pétainiste. Il allait à l’encontre de sa hiérarchie alors qu’il était extrêmement obéissant envers son évêque par ailleurs ».

En octobre 1943, le prêtre rejoint le Service d’atterrissage parachutage (SAP), sous la direction du colonel Rivière. Dans sa cure ou dans la ferme de son frère, il cache des réfractaires au STO, des Juifs et des résistants. Beaucoup. Comme en témoigne Yvonne Bergeret, 96 ans, « tout le monde disait que s’il n’avait pas été mort, tous les juifs l’auraient aidé pour finir son église ».
Le prêtre prend des risques. Parle trop fort. Mais, curieusement, n’est pas inquiété avant juin 1944. « Certains pensent qu’il y avait une forme de protection y compris chez les miliciens, explique Alain Moreau. D’après plusieurs témoins, la personne qui l’aurait dénoncé, l’ancien enfant de chœur, un dénommé Langlade, était membre d’une famille relativement pauvre qui aurait été aidée par l’abbé. C’est une piste que je vais creuser mais je suis plutôt partisan du hasard. Après le débarquement allié, les Allemands veulent faire le ménage et tombent sur le "radio" en train d’émettre et trouvent des armes ». Le 16 juin 1944, en effet, des hommes de Francis André, dit "Gueule tordue", chef du Mouvement national antiterroriste et fidèle de Klaus Barbie, débarquent à l’église Sainte-Thérèse où l’abbé Boursier dit la messe de 8 heures. Liliane Georges, 15 ans à l’époque, s’en souvient : « J’ai vu ces messieurs au fond de l’église. L’abbé s’est retourné, toujours avec le même pas que d’habitude, est parti avec les saints sacrements jusqu’à la sacristie. On l’a vu remonter toute l’allée, mais il n’y avait rien d’anormal. Et, l’après-midi, on a su que l’abbé s’était fait arrêter ». « On a vu les prêtres qui étaient embarqués dans la Traction, les mains dans le dos, raconte Raymont Duret qui, enfant, a assisté à la scène depuis sa fenêtre. Il y avait le chanoine Boursier et le père Joffray. Informés ou pas, les miliciens ont mis la main sur le sous-lieutenant Hubert Gominet, opérateur radio et sur une cache d’armes derrière l’autel et dans l’orgue de l’église.
La nouvelle de l’arrestation de l’abbé se propage vite ainsi que son hypothétique dénonciation par un ancien enfant de chœur. Tant et si bien que Pierre Tauron, 15 ans à l’époque, et son ami Billat, armés d’une mitraillette partent à sa recherche : « On avait une Stein. Une mitraillette toute métallique, légère. On l’a recherché toute une nuit. On ne l’a pas trouvé ».

L’abbé Boursier, son vicaire l’abbé Joffray et Hubert Gominet sont internés à Montluc. Pendant sa détention, le prêtre est torturé mais ne parle pas. Le 20 août 1944, quelques jours avant la libération de Villeurbanne, il est emmené avec 120 autres détenus. Rassemblés au fort de Côte-Lorette à Saint-Genis-Laval, ils sont fusillés dans la maison du gardien qui est ensuite incendiée. La vie du chanoine Boursier s’achève tragiquement, soulevant une vive émotion à Villeurbanne. Dès le 28 octobre, son nom est donné à la place du marché aux Gratte-Ciel.
Cette vie exceptionnelle, Alain Moreau entend la retracer dans une biographie, mais pas seulement. Un documentaire est aussi en projet avec Jean Sondel, fondateur et délégué général du Fifrec (Festival international du film et des réalisateurs des écoles de cinéma). Aussi, l’historien lance un appel aux films et images privés de Villeurbanne des années 30 et plus particulièrement de la construction et inauguration des Gratte-Ciel et, bien sûr, du chanoine.

Alain Moreau

Pour contacter Alain Moreau : moreauchanoineboursier@gmail.com ou 04 78 94 08 74.

 

Famille Schneebalg - Cachés par le chanoine ?

« Lorsqu’on passait devant l’église Sainte-Thérèse, ma grand-mère me disait : "Tu vois pendant la guerre on se cachait aussi là" ». Dominique n’était alors qu’une enfant. C’était la fin des années cinquante, et elle était encore loin de comprendre que de nombreuses vies avaient été sauvées par ce « gentil curé » dont parlait sa grand-mère maternelle hongroise, Elisabeth Schneebalg. Comme beaucoup de Juifs d’Europe centrale, la famille Schneebalg a fui le nazisme. En 1938, elle s’installe dans les tout récents Gratte-Ciel, au 7 de l’avenue Henri-Barbusse. Max, époux d’Elisabeth, passionné de photo et qui en fait commerce, y trouve un appartement avec salle de bain et WC séparés où il peut développer ses clichés dans l’évier sans ennuyer le reste de la famille.
En novembre 1942, la zone libre est envahie par les Allemands, et l’étau commence à se resserrer sur la famille Schneebalg dont le nom apparaît sur une liste intitulée « Appartements israélites » émanant probablement du commissariat des Charpennes. Débutent alors des temps d’insécurité ponctués d’alertes et de départs précipités vers des lieux sûrs où se cacher. « À plusieurs reprises, nous nous sommes réfugiés chez des collègues espagnols de mon père, rue Greuze, raconte Paul Schneebalg, le fils. C’étaient des réfugiés de la guerre d’Espagne qui avaient construit eux-mêmes leur maison. Ils n’avaient même pas l’électricité. Mon père travaillait à l’époque à l’usine Gillet de la Soie. On couchait aussi chez des Hongrois, pas loin de la place des Maisons-Neuves. Moi personnellement je ne supportais pas, parce qu’un jour on couchait là, puis un autre jour là. »
Puis les époux Schneebalg décident de laisser les enfants à des personnes de confiance. Paul chez des amis lyonnais, Marthe chez le substitut du procureur à Lyon, puis chez des paysans de Meyzieu et, enfin, chez le boulanger de Nivolas-Vermelle, en Isère, où elle restera jusqu’à la Libération. Leurs parents, eux, continuent de vivre entre l’appartement des Gratte-Ciel et les caches de fortune. Parmi celles-ci, sans doute la crypte de l’église Sainte-Thérèse. Fille et petite-fille ont entendu Elisabeth Schneebalg le dire. Cette cache, Paul l’a vue. Mais le souvenir reste flou : « Il y avait un terrain derrière l’église, on entrait par-derrière. Sous l’église, il y avait des matelas par terre et des couvertures ».

Famille Schneebalg

 

>> Lire aussi l'article  "Quand les héros anonymes font l’histoire" (Viva juillet 2015)

 

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