La guerre contre Miribel
20 octobre 2022
La guerre contre Miribel
Le Rhône était vraiment une bénédiction pour les Villeurbannais. Sur ses îles, dans ses marais, dans ses brotteaux couverts de bois, les habitants menaient paître leur bétail, et coupaient à volonté du bois pour se chauffer ou pour faire des outils. L’accès à ces ressources était totalement libre, les rives du fleuve et ses abords constituant des communaux étendus sur plus de 200 hectares, dont les villages de Villeurbanne et de Vaulx-en-Velin jouissaient en commun. Partant de la Feyssine à l’ouest, ils s’étiraient à l’est en direction de l’actuel parc de Miribel-Jonage. Mais ce Rhône généreux s’avérait aussi on ne peut plus instable. Par ses crues soudaines, il pouvait rayer d’un trait de plume telle ou telle île du paysage, ou bien changer brusquement son lit et se mettre à couler là où on ne l’attendait pas, en mordant tantôt sur le côté du Dauphiné et tantôt sur la rive opposée, côté Dombes. La preuve, vous la voyez encore dans les limites actuelles de notre ville : ces grandes boucles qu’elles dessinent vers Saint-Jean témoignent du temps où le fleuve formait ici des méandres et baignait le pied de Cusset.
Maudit Rhône ! Ce sont ses caprices qui furent à l’origine de la guerre entre Villeurbanne et Miribel. Des avocats prétendirent dans de bien beaux mémoires qu’elle commença dès 1325, lorsque Villeurbanne et Vaulx-en-Velin furent intégrées au Dauphiné, tandis que Miribel restait entre les mains de seigneurs locaux puis du comte de Savoie, ennemi héréditaire des Dauphinois. Chaque côté voulut s’attribuer la pleine propriété des îles et des brotteaux, en chassant l’autre évidemment. Bergers et bûcherons, sans oublier leurs avocats, se livrèrent alors un conflit sans merci. Un acte de Louis XIV, en 1682, calma un peu les choses en reconnaissant les droits des Vaudais et des Villeurbannais. Mais le Rhône, encore lui, empiéta sur les rives de Miribel. Aussi, en 1712, les Miribelans repartirent de plus belle dans leur contestation et entamèrent un énième procès contre Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Décines et Meyzieu. Un procès qui fut porté devant le « parlement » de Dijon, la plus haute cour de justice dont dépendait l’actuel département de l’Ain. Des décennies de procédures suivirent, coûtant une fortune en avocats et endettant lourdement les villages. Sur le terrain, l’on en vint aux insultes, aux coups, et à la rébellion, au point que Jacques Picard, Claude Trux, Pierre Mallet et le nommé Turrel, des habitants de Meyzieu, furent condamnés à « servir le Roy a perpetuité dans ses galères », et leurs biens confisqués.
Enfin en 1733, le parlement de Dijon rendit son jugement, en donnant la victoire… à Miribel ! Stupeur chez nous. Pas question de laisser filer nos trésors. Ni une ni deux, les Villeurbannais et les Vaudais firent comme si de rien n’était, et continuèrent à mener paître leur bétail et à couper du bois sur les rives du Rhône. Les Miribelans, évidemment, ne se laissèrent pas faire. Après avoir rameuté la maréchaussée et bon nombre d’archers, ils se rendirent le 23 mars 1736 sur les brotteaux, les îles et les marais, razzièrent tout le bétail qu’ils y trouvèrent, et le vendirent aussi sec. Quarante-cinq Villeurbannais et Vaudais furent ainsi volés, qui perdirent en quelques heures pas moins de 82 vaches et 34 génisses. Catastrophe pour nos concitoyens d’hier : « Il n’y a point de doute », écrivirent-ils au roi, « que les supliants auroient tiré de leurs bestiaux du proffit et des secours essentiels pour la subsistance de leurs familles ». Du fait de cet « enlèvement », la plus grande partie d’entre eux se retrouvait - soi-disant -, « réduite à la dernière misère et à la mandicité ». On porta donc plainte, des enquêteurs furent désignés, parlement de Dijon et parlement de Grenoble se renvoyèrent la balle, tandis que le roi Louis XV ne savait guère à quel saint se vouer. L’affaire s’éternisa, au point qu’en 1834 nos Dauphinois étaient toujours englués dans ce conflit. Quand Villeurbanne, enfin, trouva une parade. Après tout, Miribel était loin. Il suffisait de lui tourner le dos. En 1846, notre ville décida donc de séparer ses communaux de ceux de Vaulx-en-Velin. Ainsi se terminèrent plus de 500 ans de guerre.
Alain Belmont
Sources : Archives du Rhône, E dépôt 256/64. Archives municipales de Villeurbanne (Le Rize), 1 D 260 à 264, GG7 (1768-1787).
Les marais, voilà l’ennemi !
Très utiles pour tous les habitants, les communaux n’avaient pas pour autant bonne réputation auprès des élites du village. Au 18e siècle, le curé de Villeurbanne se fit leur porte-parole, en inscrivant dans ses registres tous les maux qu’il leur reprochait. Conformément à une opinion autrefois très répandue, il les accusait de provoquer du brouillard « qu’on appelle vulgairement niole », à l’origine de dégâts sur les récoltes et même de maladies ! Ainsi en 1775, il raconte que Villeurbanne fut soumise « sur la fin de l’année [à] des brouillards qui ont occasionné des maladies epidemiques [et] plusieurs enfants morts icy ». Le remède ? Assécher les marais. Et notre curé, messire Franchet pour le nommer, de réclamer à cor et à cri des travaux. « Tous mes [efforts] pour le bien se portent au defrichement et aux desechements des marais qui seuls causent la perte du paiis », écrivit-il en 1780. En vain. Ce n’est qu’au 19e siècle qu’un canal fut creusé en amont de la Rize, afin de drainer les marécages situés près de Cusset.
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Repères
1325 : Villeurbanne est rattachée au Dauphiné
1349 : réunion du Dauphiné à la France
1601 : l’actuel département de l’Ain, propriété de la Savoie, est rattaché à la France
1643-1715 : règne de Louis XIV
1715-1774 : règne de Louis XV
1793 : Villeurbanne compte 1617 habitants, Vaulx-en-Velin 762, Miribel 1975
1828 : le maire Monavon envisage des travaux de drainage des marais
1853 : le syndicat intercommunal de la Rize entame le creusement d’un canal de drainage
1894-1899 : creusement du canal de Jonage, dont le tracé reprend le cours du Rhône médiéval