DOSSIER "Auprès des séniors pendant l'épidémie" - En résidence confinée

Dans les quatre résidences séniors municipales, les journées commencent peu ou prou de la même façon. Enfin, plus tout à fait quand même depuis qu’un virus s’est invité un peu partout dans le monde et a menacé plus particulièrement ces lieux considérés comme plus vulnérables parce qu’accueillant des personnes âgées.
En résidence confinée

Tandis qu’un nombre incroyable de Françaises et Français se retrouvait confiné du jour au lendemain chez eux, le personnel de ces résidences a dû, lui, rester sur le pont et s’adapter sans préavis à de nouveaux protocoles, mettre sa propre peur du virus de côté pour « ne pas abandonner les aînés ».
« Je l’ai très mal vécu au début, témoigne Mireille, agente technique de la résidence Jean-Jaurès. Le restaurant a fermé, moins de contacts avec les personnes âgées, davantage de ménage… il a fallu travailler autrement. » « Au début, la situation nous a stressés, mais de toutes façons, il n’y avait pas le choix, il fallait bien s’occuper des résidents », poursuit Corinne, agente technique de la résidence Marx-Dormoy. Même écho à Château-Gaillard, où la secrétaire, Julie, « appréhendait beaucoup » et a été rassurée une fois constaté que « le protocole mis en place fonctionnait et qu’il n’y avait pas de cas de contagion ».

Blandine, directrice de la résidence Château-Gaillard

« Nous téléphonons régulièrement aux résidents, c’est très important, d’autant que 95 % d’entre eux – qui ont en moyenne 82 ans – n’ont pas accès à Internet… Ils peuvent recevoir une personne de leur famille, et nous avons mis en place des mails groupés pour les familles pour donner des nouvelles des résidents et de la résidence. »

Blandine (à gauche), directrice de la résidence Château-Gaillard.

On a appelé beaucoup de ces agents des "invisibles" par rapport aux soignants célébrés tous les soirs. Mais, invisibles, pas tant que ça. Quand les rues et les transports en commun se sont vidés, on ne voyait plus qu’eux, se rendant dès potron-minet sur leur lieu de travail, même si parfois avec « la boule au ventre », tant le discours était anxiogène.
Dans l’immense cuisine de la résidence Jean-Jaurès, où elle prépare les paniers repas qui ont remplacé le restaurant, où les fours sont à l’arrêt, Ouria, référente restauration, témoigne du « stress des transports en commun », des attitudes à l’extérieur bien éloignées du protocole strict de la résidence. Alors « quand les résidents nous remercient, qu’ils sont contents de nous voir, c’est gratifiant. Non pas qu’on attende un remerciement, mais ça fait du bien ».
Des équipes soudées, un sens du collectif et du service public, aident indubitablement tous ces agents et agentes à traverser bon an, mal an cette crise sanitaire inédite. Car si le confinement est terminé, les précautions, les gestes barrières sont toujours là, parce que le virus est toujours là.

Un quotidien bouleversé

Tous les matins, c’est le ballet de la désinfection qui commence pour Sonia et Paule à la résidence du Tonkin, Mireille, Alice et Fahtia à Jean-Jaurès, Fahtia et Cédric à Château-Gaillard, et Corinne, Mohammed et Christian à Marx-Dormoy. Ces deux derniers, agents de la direction des Sports, étant venus en renfort (lire l'article ". Poignées, rampes, boutons et portes d’ascenseurs, boîtes aux lettres, tous les points de contact sont traqués par tous ces agents de service. Fahtia (résidence C.-Gaillard) a vu les regards changer, avec des résidents reconnaissants. « Beaucoup nous ont dit : “Heureusement que vous êtes là”, confirme Mireille. Ils savent qu’on est là, et qu’à distance raisonnable on peut discuter avec eux. Quelque part, du fait de ce virus, je me sens encore plus utile ».

Julie

« Les taches ont changé depuis le confinement. Il a fallu mettre en place une organisation nouvelle pour les résidents. Au début c’était difficile, parce que c’était tout nouveau, on appréhendait beaucoup. Une fois qu’on a constaté que le protocole mis en place fonctionnait – il n’y a pas eu de cas de contagion – ça allait mieux. »

Julie, secrétaire de la résidence Château-Gaillard.

Pourtant, les consignes liées au confinement : visites limitées et une sortie par semaine dans toutes les résidences, n’ont pas été faciles à faire appliquer. « Au début, les résidents n’étaient pas très disciplinés parce qu’ils n’avaient pas encore pris la mesure de ce qui se passait. Et puis ils ont compris que c’était grave », raconte Ouria. Ces débuts, difficiles dans les quatre résidences les premiers jours, ont été plus douloureux à la résidence du Tonkin, où une partie du personnel a été blessée par l’attitude de certains résidents : « Les quinze premiers jours, je me faisais disputer tous les jours quand je faisais une remarque sur les distances, les sorties. Alors j’ai décidé de ne plus rien dire », témoigne Sonia, agent de service. « On a été un peu la cible d’attaques difficiles à vivre », confirme sa collègue, Paule. Elles voulaient les protéger, tous, le virus étant particulièrement dangereux à partir de 65 ans. Et protéger leur propre famille. Mais se sont heurtées à l’incompréhension d’un public qui n’était pas préparé à rester enfermé dans un petit appartement, quel que soit son âge ou son niveau d’autonomie. Un public dont le quotidien a changé subitement comme le rappelle Blandine, directrice de la résidence Château-Gaillard : « Chacun a dû rester dans son appartement, le restaurant a fermé, remplacé par des paniers repas ». « Certains l’ont mal vécu parce que venir au restaurant était leur seul moment de partage », souligne Ouria.

Marie-Pierre, directrice des résidences Jean-Jaurès et Marx-Dormoy

« Depuis le confinement, nous avons une liste des personnes les plus vulnérables dont on prend des nouvelles, le lundi, le mercredi et le vendredi par téléphone ou lorsque l’on porte les repas. Lorsque c’est nécessaire nous leur conseillons d’appeler la cellule d’écoute psychologique. Plusieurs personnes des deux résidences ont appelé et ont été très contentes de l’écoute qui a été faite. Car pas dans la moralisation, du vrai soutien. »

Marie-Pierre (à gauche), directrice des résidences Jean-Jaurès et Marx-Dormoy. »

Des repères qui tombent

Les animations habituelles ont également cessé du jour au lendemain : « Les ateliers mémoire, les animations de groupe qui créaient de la convivialité ont été arrêtés », raconte Emmanuelle, animatrice dans les résidences Château-Gaillard et Marx-Dormoy. Des temps de rencontres remplacés par des gazettes, une fois par semaine, pour garder le lien et par des échanges individuels, commencés fin avril. Elisabeth, animatrice et aide-soignante à la résidence du Tonkin, a troqué ses cours de gym collectifs pour des cours individuels à l’extérieur : « Ce qui me permet d’adapter les mouvements aux personnes, à raison d’une demi-heure chacune ». A Château-Gaillard, c’est Kévin, un étudiant entraineur de l’Asvel basket féminin, logé dans la résidence, qui a proposé aussi ses services. A Jean-Jaurès, Marie-Lise a dû suspendre ses massages Snoezelen relaxants jusqu’au 11 mai. Les "sorties courses" et les animations intergénérationnelles ont cessé aussi, jusqu’à nouvel ordre.

Kévin (photo) et Diego sont étudiants et entraineurs de l’Asvel basket féminin. Ils ont proposé leur service de coach sportif aux personnes âgées de la résidence Château-Gaillard.

Kévin (à droite) est étudiant et entraineur de l’Asvel basket féminin. Il a proposé ses services de coach sportif aux personnes âgées de la résidence Château-Gaillard.
Le confinement, l’arrêt du restaurant et des activités n’ont pas été sans effets négatifs sur une partie des résidents et résidentes. « Tous les repères sont tombés, témoigne Véronique, infirmière du service Petite enfance en renfort à Jean-Jaurès. Certaines personnes âgées viennent nous parler tous les jours, mais ce sont celles que l’on ne voit pas qui nous inquiètent le plus. » « Nous avons établi une liste des personnes les plus vulnérables dont on prend des nouvelles trois fois par semaine par téléphone en plus de la distribution des repas » précise Marie-Pierre, directrice des résidences Marx-Dormoy et Jean-Jaurès. « On a pu observer des phénomènes de glissement, d’isolement, confirme Isabelle, infirmière à Marx-Dormoy et au Tonkin. Et là, il faut aller les récupérer chez eux et ce n’est pas toujours évident de se faire ouvrir la porte. Il est temps que ça finisse. »
 

 

Témoignages   

Agentes et agents de service : « Deux fois plus de désinfection »

Avec le confinement et les consignes sanitaires associées, le quotidien des agents techniques a été bouleversé. Fini le restaurant, les tables qu’on prépare, puis qu’on débarrasse, les résidentes et résidents que l’on croise et avec qui on échange deux ou trois mots. A la place : plus de nettoyage, de désinfection, et le portage quotidien de paniers repas aux personnes âgées qui l’ont demandé.


Fahtia (rés. Château-Gaillard), agente détachée de la résidence du Tonkin  

« J’ai quitté la résidence du Tonkin pour venir aider celle de Château-Gaillard. Au Tonkin, je suis à l’entretien et référente de restauration. Ici, je nettoie plusieurs fois dans la journée les rampes d’escaliers, les poignées, les boîtes aux lettres, les ascenseurs. Et, en fin de matinée, je porte les repas aux personnes âgées. Les résidents sont contents. On a de petits échanges, on discute. Il y a une reconnaissance. Sincèrement, ils ont vu une différence, parce que c’est nettoyé constamment, il n’y a pas de laisser-aller. Au début, j’étais un peu stressée parce qu’on ne savait pas grand-chose sur le virus. Après, on se fait une idée, il faut juste faire attention. Mentalement, ça ne m’inquiète pas. Si on doit être malade, on est malade. »

Sonia (résidence du Tonkin)

« Depuis le confinement, c’est deux fois plus de travail et plus d’attention à tout. Deux fois par jour, nous désinfectons les poignées de portes, les boîtes aux lettres, les interrupteurs, la laverie, les toilettes. Dans la laverie se croisent les étudiants et les personnes âgées (ndlr : les quatre derniers étages de la résidence accueillent des étudiants). C’est un important lieu de contacts. On essaie d’éviter que 3 à 4 personnes soient présentes en même temps mais c’est un peu compliqué. Il y en a qui écoutent et il en a qui n’écoutent pas. Les premiers 15 jours je me faisais disputer tous les jours quand je leur faisais la remarque sur les distances de sécurité, les sorties, les visites. Alors, j’ai décidé de ne plus rien dire. Mais à quoi ça sert qu’on désinfecte tout, s’ils sortent, touchent tout ensuite ?
Certains résidents sont reconnaissants mais d’autres nous ont demandé ce qu’on faisait là. D’autres nous disaient : « C’est pas grave, on a 90 ans ! ». Heureusement on n’a pas de cas, on a vraiment eu de la chance. »


Paule (résidence du Tonkin)

« Je suis agent de service depuis 2 ans, après 30 ans de portage de repas avant. J’avais envie d’un peu plus de travail en équipe. Dans le portage de repas, on est souvent seul. Ici, j’ai une bonne équipe avec moi et dans ces moments comme celui-là, c’est important. Depuis le confinement, on n’a plus la restauration, et le temps qu’on ne passe plus dans le restaurant, c’est pour désinfecter à nouveau. On a 10 étages. Je rêve de confiner pour me reposer, parce que ça a été assez tendu malgré tout au début. D’avoir dû faire le gendarme n’a pas plu à une partie des résidents. Il y a eu des accrochages. Et aussi, au début, on a été un peu la cible : « En venant travailler, vous allez nous amener le virus. » Il y a eu des attaques difficiles à vivre. Surtout au début du confinement, quand on venait travailler et qu’on réalisait qu’on était seuls dans la rue. Ça a été un peu une source d’angoisse, mais on a fait avec. Mon mari et mon fils étaient confinés, j’ai essayé de faire le maximum pour ne pas les contaminer. Une partie des résidents n’a pas compris notre rôle. »

Mireille (résidence Jean-Jaurès)

« Au début, j’ai très mal vécu le confinement. C’est une autre façon de travailler : moins de contact, plus de ménage. Et puis, j’avais peur de ramener le virus à la maison. C’est ce qui m’angoissait le plus, c’étaient les transports en commun. Mais je n’ai pas d’autre moyen de venir au travail.
Certains résidents sont perdus, notamment ceux qui ont des troubles cognitifs, ce n’est plus les mêmes règles. On ne peut plus sortir comme on veut, il faut remplir les papiers, les médecins ne viennent plus, les auxiliaires de vie ne viennent plus, ça perturbe complètement leur quotidien, donc il faut les rassurer.
Ce qui leur manque c’est le contact qu’on peut avoir avec elles ou avec eux. Parfois, on arrive à discuter un peu. Nous aussi, ça nous manque. Comme le restaurant ne fonctionne plus, on ne les voit pas de la même façon, porter le repas à la porte ça va trop vite. Moi, j’ai choisi ce métier pour le contact avec les personnes âgées. On est là quand elles ont besoin de parler : l’infirmière, l’aide-soignante, le gardien et nous. On peut prendre 10 ou 15 minutes de notre temps pour parler avec elles parce que certaines s’isolent et ce n’est pas bon pour le moral. Mais quelque part, du fait du coronavirus, je me sens plus utile. On était utile auparavant mais pas de la même manière. »


Fahtia (résidence Jean-Jaurès)

« Je travaille ici depuis 2012. Avant le confinement, on discutait avec les résidents, ça faisait du bien, maintenant on ne les voit pas beaucoup et ça nous manque. Au début, on avait peur du virus, parce qu’on a des enfants, un mari. Maintenant on est un peu rassurés parce que les résidents respectent bien. »


Alice (résidence Jean-Jaurès)

« Au début du confinement, on n’a pas trop compris. Parce que personne ne maîtrisait les choses. On s’est adapté au fur à mesure. On a réadapté la manière de travailler : au lieu que les personnes descendent au restaurant, c’est nous qui montons distribuer les paniers repas. Il y a une continuité de repas avec le panier. Tout n’est pas arrêté. C’est clair que c’est dur, qu’ils ont besoin de ce moment de convivialité à table avec leur voisin. C’est un mauvais moment à passer.
On essaie de garder le lien avec les résidents en leur remettant leur panier repas du midi. On a souvent des petits mots pour nous remercier du travail qu’on fait, d’être là. Des résidentes nous ont fait des masques en tissu. Parfois, c’est un peu dur, je suis tombée sur des personnes qui, ce jour-là, n’étaient pas bien et qui regardaient les photos de famille. Alors, on prend 5, 10 minutes pour qu’ils ne restent pas dans cet état un peu démoralisé. »


Corinne (résidence Marx-Dormoy)

« Le restaurant me manque un peu parce qu’il y a plus de vie. C’est un autre fonctionnement. Maintenant on amène le repas dans les appartements. Le
matin, on prépare tous les paniers. 25 au total. 75 le weekend. Au début, la situation nous a stressés, mais de toutes façons, il n’y avait pas le choix, il faut bien s’occuper des résidents. Pour eux ce n’est pas évident parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils sont enfermés dans leurs appartements. On a beau expliquer, ils ne comprennent pas toujours. C’est stressant pour eux et pour nous. »

 

Gardiens : « Moins d’interventions à domicile »

Joignables 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les gardiens sont aussi soumis à un protocole strict. Les interventions dans les appartements sont très limitées et sous protection des pieds à la tête.


Eric (résidence Jean-Jaurès)

« Les journées sont beaucoup moins animées que d’habitude. Beaucoup moins de travail. D’habitude je fais des visites, des états des lieux qu’on n’a plus actuellement. On a toujours l’accueil téléphonique, les renseignements pour les personnes extérieures, mais c’est beaucoup moins actif que d’habitude. Je continue à intervenir dans les appartements, mais avec une tenue de protection. Les résidents appellent moins mais on les sent un peu plus stressés que d’habitude. Beaucoup plus angoissés. Ils voient moins leurs familles. Alors on essaie d’être un petit peu plus présents quand ils en ont besoin. Ils savent qu’ils peuvent compter sur nous, que ce soit moi ou les deux autres gardiens remplaçants. »


Nicolas (résidence Tonkin)

« D’habitude, à l’accueil, je réceptionne les entreprises, les résidents, les familles, les intervenants, les auxiliaires, les infirmiers, tout le monde. Je suis l’homme à tout faire. J’ai toutes les clés donc c’est souvent moi qu’on sollicite. Dès qu’il y a un petit pépin, une petite bricole, on appelle le gardien. Depuis le confinement, l’équipement a changé : les gants et le masque tout la journée et, dès que je vais dans un appartement, même pour changer une ampoule, déboucher un évier ou faire la plus petite intervention, je m’équipe du kit visiteur, c’est-à-dire la charlotte, la blouse, les sur-chaussures, les gants et le masque. J’y vais en astronaute ! Le kit visiteur, c’est pour une petite intervention « normale ». Si c’est une intervention avec un cas suspect, là j’ai en plus les lunettes de protection et la combinaison intégrale. Ce qui a changé avec le confinement aussi, c’est qu’on voit beaucoup moins les résidents. La plupart le respectent plus ou moins. On a toujours des irréductibles qui ne peuvent pas rester enfermés. Et quand on essaie de faire appliquer les consignes, les réponses en fait, c’est : « Je m’en fous, je fais comme je veux ». C’est un foyer-logements, donc la plupart des résidents sont valides et autonomes, ils sortent beaucoup, ils aiment bien se balader. La première raison qui les pousse à venir dans une résidence de personnes âgées, c’est justement de lutter contre la solitude et là on leur demande de rester seuls chez eux sans voir personne, du coup ils le vivent mal. Donc on a mis de nouvelles choses en place : la petite collation du soir, les paniers-repas de midi. Je monte aussi les courses pour éviter aux gens d’aller chez les personnes. Je réceptionne à l’accueil et je leur monte.
Les quatre derniers étages sont réservés à des étudiants, 18 pour 74 seniors, quasiment tous en doctorat. Ils ont plus de facilité avec Internet pour se faire livrer et respectent bien les consignes. »


Aman (résidence Château-Gaillard), gardien remplaçant

« Mon rôle est de veiller à la sécurité de toute la résidence. Que ce soit le jour ou la nuit, on est là 24h/24. Ça rassure les résidents. Ils peuvent faire appel à nous pour toutes sortes de raisons : une panne d’électricité, une ampoule grillée, une chute. Depuis le confinement, ils sont plus en demande de discussion parce qu’ils se sentent un peu seuls et c’est aussi notre rôle.
Je suis étudiant à l’université Lyon III et actuellement en renfort à la résidence. Nous sommes trois gardiens, nous nous relayons. C’est important pour moi d’aider les gens, de faire mon possible. Ils nous le rendent par des petites attentions, comme des chocolats. Ça fait du bien pour nous et pour eux. »


Roland (résidence Marx-Dormoy)

« Les résidents m’appellent moins en ce moment. On a instauré la consigne de nous appeler quand c’est grave, pas pour de petites choses. On essaye d’éviter d’entrer dans l’appartement. Quand on est obligé, par exemple pour des chutes, on met la combinaison complète, avec gants, chaussures, lunettes. Quand on rentre dans l’appartement, même si c’est pour changer une ampoule, on doit être en combinaison. Je suis plus souvent à l’accueil pour qu’ils me voient quand ils vont faire les courses. A l’accueil, il faut remplir le registre pour se signaler. Les familles aussi. C’est pour suivre les contacts si quelqu’un est malade.
C’est appréciable d’avoir eu des agents d’autres services en renfort. Quand on doit désinfecter les bacs à ordures, une fois par semaine, on ne peut pas le faire en une seule fois quand on est seul. Parce que ça prend beaucoup de temps et qu’il n’y aurait plus personne à l’accueil. Pour la suite, il faudra faire sans les renforts, il faudra s’y faire. »

 

Cuisiniers et référents restauration : « Les paniers-repas à la place du restaurant»

Avec le confinement, les restaurants ont fermé laissant des salles vides là où d’habitude se déroulait l’une des principales animations de la journée. Plus de plats à préparer ou à mettre à température, plus de tables à dresser, mais des paniers-repas à préparer, tous les jours.

Pierre-Olivier (résidence Château-Gaillard), second de cuisine

 « Avec le chef de cuisine, on travaille de 6h30 jusqu’à 14h. Avant le confinement, on travaillait comme dans un restaurant qui propose un plat du jour : je faisais ma cuisine le matin, j’envoyais à midi. Avec la crise sanitaire, on est obligés de cuisiner et de préparer les paniers pour les repas du midi. On fait entre 40 et 45 repas, tous les jours. On prépare des barquettes. Avec le confinement, on a simplifié, on est obligé. Les commandes sont plus compliquées parce qu’on manque de marchandises.
Le travail est beaucoup plus carré, plus organisé, avec un peu plus d’hygiène encore. Il faut constamment se laver les mains, travailler avec les masques.
Il manque le contact avec les personnes âgées. On les voit à travers les fenêtres…
Dans l’ensemble ça se passe bien. Je n’ai pas d’appréhension par rapport à tout ça. Ce sont des choses qui arrivent, qui devaient arriver de toutes façons. Il faut simplement appliquer les règles et tout se passe bien. Nous sommes des fonctionnaires, on est là pour ça, c’est notre travail. Quand il y a un coup dur, on doit garder la tête froide, on est là pour les personnes âgées.
Je suis entré dans la fonction publique parce que c’était pour moi un engagement. Là, c’est une crise et je me dis : « Voilà, c’est notre devoir, on fait notre travail ». Et on se sent utile, c’est vrai.
Quand on peut aider, il faut aider. »


Lise (résidence Château-Gaillard), commis de cuisine

« . Avec le confinement, on a dû revoir l’organisation parce qu’on ne fait plus que des paniers-repas, le restaurant est fermé, et on a renforcé les mesures d’hygiène. Venir travailler malgré le virus n’a jamais été un problème. J’avais déjà l’impression d’être utile avant, donc ça n’a rien changé. »


Nathalie (résidence Tonkin), référente restauration

« Depuis le confinement, c’est la cuisine centrale qui nous livre les barquettes. Et moi je prépare les paniers, une quarantaine par jour, le double le weekend, voire le triple en cas de jours fériés. Il faut séparer les paniers froids des paniers chauds pour ceux qui ne peuvent pas se faire réchauffer les plats. Quatre résidents ont en plus des collations pour le soir.
Avant je préparais la salle de restaurant : nappes, assiettes, puis je préparais mes plats, les remettais en température, avant le service à table.
Le confinement a été stressant avec la peur de ramener la maladie à la maison, même si on est assez pointilleux, et que l’on fait attention. D’autant que certaines personnes âgées ne voulaient pas respecter les consignes qu’elles ne comprenaient pas et ont été parfois désagréables avec nous. Heureusement, nous sommes une équipe soudée. »


Ouria (résidence Jean-Jaurès), référente restauration

« Au début du confinement, c’était difficile parce qu’on n’avait plus nos marques. C’était perturbant. J’avais l’habitude d’allumer mes fours, de faire mes plats, de préparer de jolies assiettes pour les entrées, et là je fais un travail un peu machinal. C’est un peu frustrant, mais on n’a pas le choix. Le restaurant est fermé, il n’y a pas la même vie que d’habitude.
Au début, ça m’a angoissé, franchement oui. Ça nous est tombé dessus comme ça. Il y avait des jours où j’étais très mal. Parce que je prends les transports en commun tous les jours, parce qu’on avait peur qu’il y ait un cas parmi nos résidents, parmi nous. On essaye de faire très attention, mais ce n’est pas évident tous les jours, maintenant ça va un petit mieux.
Au début, les résidents n’étaient pas été très disciplinés parce qu’ils n’étaient pas arrivés à prendre la mesure de ce qui se passait. Ils sortaient, se rassemblaient dehors. Et, au fur et à mesure, ils ont compris que c’était grave. Certains l’ont mal vécu parce que venir au restaurant, c’était leur seul moment de partage, parce qu’ils ne voient personne en temps normal. Maintenant ils s’y sont faits, comme nous je crois.
Au début, on avait l’impression qu’on n’existait pas, on n’est pas soignants, alors on n’était pas reconnus, mais le fait que les résidents nous remercient, qu’ils soient contents de nous voir, c’est gratifiant. Ce n’est pas qu’on attende un remerciement, mais ça fait du bien. »


Stéphanie (résidence Marx-Dormoy)

« D’habitude, on fait réchauffer les plats au four. Depuis le confinement, on prépare les repas pour les résidents dans les sacs. On met du pain, une entrée, un plat chaud, fromage, laitage, un dessert et c’est eux qui réchauffent chez eux.
C’est la première fois qu’il nous arrive un truc comme ça et ce n’est pas évident à gérer parce qu’on se dit : A la longue, est-ce que ça va changer la façon de faire ? Je ne pense pas que ça va changer mon métier. Je suis toujours la même. J’ai toujours aimé le contact avec les personnes âgées, elles nous apportent beaucoup et nous on leur donne aussi beaucoup parce que certaines personnes n’ont pas de famille, pour elles on est un peu comme leur famille. Quand elles ne nous voient pas, elles demandent : « Où elle est ? Pourquoi elle n’est pas là ? ». J’espère que s’il nous arrive à nouveau une situation comme ça, ce sera plus organisé, on aura l’expérience. »

 

Animatrices : « Du collectif à l’individuel »

Toutes les résidences séniors proposent des animations qui permettent aux résidentes et résidents de partager des moments de convivialité tout en faisant travailler corps et esprit. Avec le confinement, tout s’est arrêté, avant de reprendre sous forme d’animations individuelles.

Emmanuelle (résidence Château-Gaillard)

« Au début du confinement, j’ai créé un petit journal pour les résidents que je distribue une fois par semaine, avec des jeux, des nouvelles, des énigmes et des petites astuces. Des choses simples comme des quiz autour de la musique parce qu’ils aiment bien.
Avant le confinement, j’avais des ateliers Mémoire écrits le jeudi matin avec une vingtaine de personnes inscrites. Je leur ai proposé de continuer ces exercices chez eux. Fin avril ont commencé des ateliers individuels avec des créneaux d’à peu près 1 heure par résident. Mais les résidents s’inscrivaient aux animations en raison de la vie de groupe, les échanges, la convivialité. J’ai ciblé des personnes qui sont plus isolées et qui ont peut-être plus de difficultés à s’exprimer en groupe. Des personnes qui ont un peu des pertes de mémoire ou des problèmes à se repérer dans le temps. »


Elisabeth (résidence Tonkin), animatrice et aide-soignante

« Je travaille dans cette résidence depuis 18 ans. Et c’est la fin : après le confinement, c’est la retraite. En septembre, je m’arrête. L’animation sportive se faisait par groupes d’une quinzaine de personnes, à l’intérieur. Depuis le confinement, ce sont des séances individuelles d’une demi-heure par personne, en extérieur. Ce qui me permet d’adapter les mouvements à chacun.
En revanche, l’atelier mémoire est arrêté. Je fais passer une fois par semaine des petites énigmes, des petits jeux, dans les boites aux lettres.
J’aide aussi au portage des paniers repas, et j’installe les personnes qui en ont besoin. Je fais 50% d’animation et 50% d’aide-soignante. Mais en tant qu’aide-soignante, ça n’a pas beaucoup changé. Si besoin, je m’équipe (ndlr : tenues de protection, blouse, charlotte, etc.) et je vais voir ce qui se passe.
On fait beaucoup de soutien psychologique. Sous prétexte de petits maux, les résidentes viennent parler un petit moment. Parce que c’est long. Surtout le weekend, parce qu’on n’est plus là. C’est plus la solitude que craignent les personnes âgées. Ce n’est pas le virus. »


Marie-Lise (résidence Jean-Jaurès)

« Je travaille depuis 1993 dans cette résidence, avec une coupure de 6 ans à l’Ehpad Henri-Vincenot. En temps normal, mon travail, c’est de faire des animations, d’accompagner les personnes âgées une fois par semaine aux courses, et de proposer des massages Snoezelen relaxants. On avait les animations intergénérationnelles, le mercredi après-midi. Les enfants ont envoyé des mots pour savoir si on allait bien, s’il n’y avait pas de souci. Dans le hall, il y a un tableau avec des pensées et des petits mots, des résidentes ont mis « courses », parce que ça leur manque.
Car avec le confinement : plus d’animations, plus de sorties. Je m’occupe de préparer les collations du soir et de les porter l’après-midi. J’en profite pour discuter un peu avec les résidents. Certains ouvrent les portes dès qu’ils entendent mon chariot.
Je me suis adaptée assez facilement à cette situation, je les rencontre dans les couloirs, en bas, quand ils font leur tour dehors. Si je n’avais pas eu le contact avec eux, ça m’aurait manqué. »

 

Infirmières et aides-soignantes : « Plus de suivi et d’écoute »

Moins de coordination des soins et plus encore d’écoute et d’attention, le personnel soignant des résidences séniors a dû s’adapter à une situation où il leur était demandé d’éviter les contacts physiques tout en restant vigilants sur les conséquences de l’isolement et de l’anxiété.


Dominique (résidence Château-Gaillard), aide-soignante

« Mon rôle, avec l’infirmière, Marie-Rose, est de prendre soin des résidents, surtout les plus fragiles. On va les voir mais on essaie de ne pas trop rester avec eux, parce qu’il faut éviter les contacts. C’est beaucoup d’appels téléphoniques pour voir si tout va bien, si les infirmiers, aides-ménagères sont bien passés. Depuis le début de la crise, il faut être plus à l’écoute pour les soutenir moralement. Les appels téléphoniques pour certains résidents peuvent être très longs. Ils ont besoin qu’on les rassure, qu’on leur réexplique ce qui se passe, parce qu’ils ne comprennent pas bien, pourquoi il faut rester chez soi, pourquoi il faut prendre des précautions. Il y a beaucoup d’angoisse par rapport à la situation qui est quand même particulière.
Il y a ceux que l’on accompagnait d’ordinaire au restaurant et qui restent dans leurs appartements, sans personne qui les motive pour manger et ils perdent l’appétit. C’est compliqué. Ça désorganise pas mal leur quotidien. Ils perdent leurs repères.
Il faut s’adapter, on n’a pas bien le choix, on réorganise notre travail, on s’adapte, on est là pour les résidents. Personnellement je suis un peu attristée de voir certaines personnes se dégrader, elles sortent moins, elles voient moins leur famille, moralement ce n’est pas évident. »


Anne-Marie (résidence Jean-Jaurès), aide-soignante

« Notre rôle est de faire la coordination entre tous les soignants qui interviennent : kinés, pédicures, médecins, infirmiers, aides-soignantes, ainsi que les aides-ménagères. Nous devons nous assurer que les résidents ont quelqu’un pour les aider. Nous sommes là aussi à leur sortie d’hôpital.
Le confinement a été dur, surtout au début pour les gens qui sont très autonomes. Pour nous aussi les débuts ont été difficiles, parce qu’il fallait tout adapter : les repas, les paniers de courses, les collations du soir qui n’existaient pas, les médicaments dont on prend commande pour les résidents et qui nous sont livrés. On a fait en sorte qu’ils n’aient pas besoin de sortir.
Mais sans restaurant, sans animations, les personnes âgées ne se rencontrent plus. Le restaurant ça leur manque beaucoup. Certains ne voient que nous et n’ont pas le moral, mais je pense que dès qu’ils vont retrouver leur famille ça ira mieux. »


Véronique (résidence Jean-Jaurès), infirmière

« Je suis infirmière, conseillère en hygiène et prévention auprès des structures petite enfance de la Ville. Les crèches étant fermées, j’ai été envoyée pour donner un coup de main ici, d’autant que j’ai déjà travaillé en résidence séniors.
Au bout d’une semaine, j’avais l’impression d’être chez moi. Les relations avec des personnes vulnérables, j’adore ça, j’aime vraiment beaucoup ce travail. Je pense que ça a fait du bien pour l’équipe d’avoir quelqu’un d’extérieur parce que c’était stressant de changer la façon de travailler, les rythmes. Une personne extérieure qui vient aider, ça remonte le moral. Sur toutes les résidences, ça a été important qu’il y ait des renforts extérieurs.
Tous les repères des résidents sont tombés. Il y a des gens qui viennent ici parler pratiquement tous les jours. Mais en fait, ce sont les personnes qu’on ne voit pas qui sont le plus inquiétantes. Il y a des gens qui ne sortent pas du tout. »

Isabelle (résidence Marx-Dormoy et Tonkin), infirmière

« Mon quotidien dans les deux résidences, c’est de surveiller les personnes âgées, voir si elles n’ont pas de problème. Au début du confinement, j’ai eu beaucoup plus de situations à gérer à Marx-Dormoy qu’au Tonkin parce que les résidents sont plus dépendants. Avant le confinement, on avait des gens vulnérables, qu’on connaissait bien, ils étaient ciblés. Depuis, on peut observer des syndromes de glissement ou d’isolement, et là il faut aller les récupérer chez eux et ce n’est pas toujours évident de se faire ouvrir la porte. Certains se replient, s’isolent aussi par peur.
La sortie du confinement m’inquiète aussi parce que beaucoup de résidents, notamment au Tonkin, sortent déjà beaucoup. Aujourd’hui, même dehors, il y a peu de contacts mais après, ils vont en avoir beaucoup. Il va falloir qu’on soit vraiment vigilants. Pour nous et nos familles aussi. »

 

A lire aussi dans le dossier "Auprès des séniors pendant l'épidémie" :

- Introduction du dossier

- Mobilisation dans les Ehpad

- Le Ssiad en première ligne

- Témoignage : infirmière scolaire, elle a choisi d'aider en Ehpad auprès de personnes dépendantes

- Témoignage : Michelle : « Il a fallu être très rapidement opérationnelle »

- Formateur, chargée de mission Sport, agent administratif... ils organisent aujourd'hui le portage des repas

- Du sport aux séniors, « être utiles »

- Témoignage de Roland, porteur de repas à domicile

- En résidence confinée

 

 

 

A lire aussi